Un système à changer

de: Joachim Légeret, militant de la Grève du Climat - Jura

État d’exception oblige, la Grève pour l’Avenir a dû être repoussée. Face au dérèglement climatique, à la pandémie et à la récession, la convergence des luttes est une priorité.

Visuel de la Grève du Climat

Les restrictions en vigueur placent les mouvements sociaux dans une posture particulièrement complexe, en les privant de nombreux espaces d’expression et de contestation, à commencer par la rue.

Le sens du 15 mai
Sur le Net, les militant-e-s s’organisent tant bien que mal, mettant sur pied des cours de formation et des mobilisations virtuelles. Toutefois, les algorithmes limitent souvent la portée des informations à des réseaux préexistants. Or, c’est précisément ce genre de barrières que la Grève du Climat souhaitait briser, en accentuant sa présence dans les espaces publics et sur les lieux de travail. Décloisonner la lutte climatique était un objectif central de la Grève pour l’Avenir du 15 mai: aller à la rencontre des salarié-e-s de multiples secteurs, pour comprendre leurs conditions de vie et de travail ainsi que leurs préoccupations, tout en les impliquant dans la formulation de revendications propres.

Climat et classes sociales
Au sein de la Grève du Climat, la suspension des activités militantes habituelles a donné lieu à des débats de fond. Des sujets cruciaux comme la « convergence des luttes », la signification pratique de la « justice climatique » ou l’idée d’un « changement de système » sont désormais abordés sous un angle nouveau. Le caractère tardif des mesures sanitaires et l’obstination des autorités à maintenir en activité des secteurs non essentiels de l’économie interrogent, voire choquent. La configuration actuelle amène à une prise de conscience accrue des inégalités de classe, qui seront également exacerbées par les changements climatiques et autres problèmes environnementaux. Dans une déclaration officielle, le mouvement dénonce ainsi une situation profondément injuste, qui contraint des salarié-e-s souvent mal rémunéré.e.s à travailler encore davantage, au péril de leur santé.

Programme alternatif
Au-delà des prises de position, comment peut-on agir dans la réalité sociale en pleine pandémie ? « Nous n’avons pas perdu de vue notre objectif de grève générale, mais pour l’heure, nous mettons l’essentiel de notre énergie dans la formation et les réflexions stratégiques », reconnaît Steven (Vaud). L’appel à la grève a logiquement été repoussé. Un programme alternatif est en cours d’élaboration et se déclinera différemment selon les régions.

Alarme climatique à 11 h 59
Prévue de longue date, l’« alarme climatique » est maintenue: le 15 mai à 11h59, chacun-e est invité-e à faire un maximum de bruit, que ce soit en tapant sur des casseroles, en criant des slogans, en klaxonnant, en jouant d’un instrument, etc. Cette performance symbolique a l’avantage d’être facilement réalisable et complètement décentralisée. Une nouvelle plateforme nommée Challenge for Future proposera également des défis à réaliser chez soi pour la protection de l’environnement. Des radios web seront par ailleurs lancées dans les trois zones linguistiques. Plusieurs cantons envisagent encore des campagnes d’affichage en vue d’occuper l’espace public. À l’occasion de ce 15 mai, le mouvement espère rappeler l’urgence absolue de la situation climatique, tout en mettant en évidence les liens entre la pandémie, la destruction de l’environnement, la crise économique qui s’annonce ainsi que la gestion de ces différents problèmes par les autorités.

Quel retour à la normale ?
Les militant-e-s pour le climat craignent particulièrement que l’urgence écologique et les besoins sociaux passent au second plan, sous prétexte de relance économique. « Quand je vois les milliards que la Confédération est prête à débloquer pour secourir l’industrie aérienne, j’ai de la peine à être optimiste », note Terenia (Fribourg). « Le retour à la normale annoncé promet d’être particulièrement néfaste. On entend déjà les injonctions des milieux économiques, prêts à tout pour relancer la croissance, quitte à augmenter encore la durée du travail. »

« Ce que nous apprend la situation actuelle, c’est qu’on peut mettre à l’arrêt certains secteurs de l’économie, sans réel effet négatif sur la société, alors que d’autres activités et services habituellement sous-valorisés se révèlent être essentiels », souligne Robin (Neuchâtel). En somme, ce contexte inédit nous pousse à redéfinir nos priorités en tant que société. Quels secteurs doivent être sauvés ou renforcés et à quelles conditions ? Où faut-il diriger prioritairement les aides publiques ? Quel contrôle démocratique sur l’économie ?

La solidarité des opprimé-e-s
Au milieu de ces interrogations, une certitude demeure : Pour inverser le rapport de forces actuel et sortir du productivisme, la solidarité de l’ensemble des opprimé-e-s est nécessaire. Construisons-la dès à présent dans nos mouvements et nos syndicats. Pour un avenir réellement durable et juste, écologiquement et socialement.