Rien de neuf sous le sapin

de: Michela Bovolenta, secrétaire centrale SSP

À l’approche de Noël, Alain Berset ressort son paquet sur les retraites, désormais divisé en deux. Si l’emballage est tout neuf, le contenu reste le même.

photo Eric Roset

Recycler des cadeaux sous le sapin est un jeu périlleux, qui se termine souvent par des scènes de ménage. C’est ce qui risque de se passer avec le projet de LPP 21, concocté par les partenaires sociaux dans la continuité de la sempiternelle « paix du travail » – et déjà contesté par le camp bourgeois.

LPP 21: risque de chute
Car si tout ce beau monde est d’accord pour baisser le taux de conversion de 6,8 à 6% - ce qui revient à réduire les rentes de 12% -, la droite se crêpe le chignon sur le supplément de rentes destiné amortir le choc pour les générations transitoires. Dans un communiqué de presse commun, l’Union syndicale suisse (USS), Travail.suisse et l’Union patronale suisse saluent « une réforme du deuxième pilier apte à recueillir une majorité sur la base de leur modèle de compromis négocié intensivement ». C’est là le but du compromis: trouver une majorité populaire pour imposer la baisse du taux de conversion, refusée par le peuple en 2010, puis en 2017.

65 ans, c’est toujours NON
Le Conseil des Etats devait discuter de la réforme AVS 21 lors de sa session d’hiver, mais le débat a été renvoyé au printemps. Ce n’est que partie remise. Les marchandages vont bon train sous la Coupole fédérale. Les organisations patronales et les partis de droite multiplient les pressions pour imposer la hausse de l’âge de la retraite des femmes. Pourtant, celle-ci a déjà fait chou blanc trois fois: en 2004, la onzième révision de l’AVS a été refusée en votation populaire; en 2010, le Parlement a abandonné une onzième révision-bis, faute d’avoir trouvé un compromis. Enfin, le projet Prévoyance vieillesse 2020 a été rejeté en 2017.

Retraites et coronavirus
Avec la pandémie, la pression sur les salarié-e-s s’est encore accrue – en particulier pour les personnels en première ligne, dont une majorité de femmes assurant les soins dans des conditions toujours plus difficiles. Dans ces métiers, tenir jusqu’à 64 ans est déjà un exploit. Comment travailler plus longtemps sans y laisser sa santé ? Dans d’autres secteurs, la crise sanitaire cause faillites, licenciements et chômage partiel. La situation des 50 ans et plus va encore se péjorer, car l’emploi se dégrade. Proposer augmentation de l’âge de la retraite dans ce contexte est irresponsable.

La droite s’entête
Il y a peu, un tout petit Oui est sorti des urnes en faveur de l’achat de nouveaux avions militaires – pour un montant de plus de 6 milliards de francs. Cet argent aurait pu servir à financer nos retraites. Mais contrairement au refus de l’élévation de l’âge de la retraite, le Oui aux avions de combats n’est pas remis en cause par le Conseil fédéral et les milieux bourgeois. Au contraire. Ils en prennent acte et avancent. Pourquoi ne pas prendre acte aussi de la volonté populaire en matière de retraites ? D’autant plus que d’autres pistes existent pour financer nos rentes: selon le Conseil fédéral lui-même, une hausse d’à peine 0,9% des cotisations paritaires suffirait à compenser l’entier des mesures prévues par AVS 21. Mais pour la droite et le patronat, les retraites sont un coût du travail qu’il faut réduire au minimum. Que la pauvreté des personnes âgées augmente, c’est le cadet de leurs soucis.

Paroles, paroles…
Depuis janvier 2020, l’AVS bénéficie d’une petite augmentation des cotisations paritaire de 0,3%, négociée dans le cadre de la Réforme fiscale et financement de l’AVS (RFFA). Le renforcement de l’AVS et la promesse de ne pas augmenter l’âge de la retraite des femmes ont été utilisés pour arracher un Oui aux cadeaux fiscaux pour les entreprises. Mais ces promesses n’étaient que du vent: le projet AVS 21 a réduit la hausse de la TVA, de 1,5% à 0,7%, mais laisse intacte la mesure imposant aux femmes de travailler jusqu’à 65 ans. Le risque est grand que les discussions en cours entre partis politiques ne donnent rien de bon pour les salarié-e-s. Nous devons donc nous préparer à une nouvelle bataille référendaire contre l’élévation de l’âge de la retraite des femmes.

Objectif 67 ans
Pour la droite et les milieux patronaux, AVS 21 n’est qu’une étape: leur objectif est d’imposer, à terme, la retraite à 67 ans pour toutes et tous. Et les projets allant dans ce sens se multiplient. Alors que les jeunes libéraux-radicaux ont lancé une initiative pour fixer l’âge de la retraite à 66 ans, le Centre patronal vaudois veut remplacer l’âge de la retraite par une durée de cotisation de 44 ans (21 + 44 = 65 ans pour les femmes). Celle-ci augmenterait automatiquement d’un mois par année. Ce qui porterait l’âge de la retraite à 66 ans et 7 mois en 2047.

AVS 21
Cette réforme est vite résumée: elle prévoit, outre l’élévation de l’âge de la retraite des femmes, une augmentation de la TVA de 0,7%.

Contrairement à la propagande du Conseil fédéral, la réforme ne prévoit pas de compensations, mais uniquement des mesures transitoires pour les femmes nées entre 1959 et 1967. En cas de départ à la retraite à 64 ans, les femmes touchant un revenu annuel inférieur à 56 880 francs ne subiraient pas de réduction de leur rente; au-delà, la baisse de rente serait de 2%, au lieu de 4 %. Toujours pour la génération transitoire – et cette fois pour les salaires inférieurs à 85 319 francs par année –, AVS 21 prévoit d’adapter la formule appliquée pour calculer le montant des rentes. Celle-ci se traduirait par une augmentation moyenne de la rente mensuelle, à hauteur de 78 francs.

LPP 21
Au cœur de la réforme du pilier, on trouve la baisse du taux de conversion, qui passerait de 6,8% à 6%. Pour un capital de 100 000 francs, la rente se monterait ainsi à 6 000 francs par an (contre 6 800 aujourd’hui), soit une réduction de 12%.

Le seuil d’affiliation à la LPP resterait inchangé, à 21 330 francs par an.

La déduction de coordination serait réduite de moitié et fixée à 12 443 francs – ce qui aura pour conséquence d’augmenter le montant du salaire assuré –, tandis que les taux de cotisation seraient lissés: 9 % jusqu’à 44 ans, 14 % ensuite.

À ce dispositif s’ajoute un supplément de rente (financé par une cotisation de 0,5%) pour la génération âgée de plus de 50 ans lors de l’entrée en vigueur de la révision. Le montant de ce supplément sera dégressif: 200 francs les cinq années suivant l’entrée en vigueur, 150 francs les cinq suivantes, 100 francs pour la troisième tranche.

Le Conseil fédéral définira le montant à verser par la suite.

Une précieuse Solidarité intergénérationnelle

Refuser une fausse opposition
À chaque tentative de réviser le système de prévoyance vieillesse, on nous le répète: si nous n’acceptons pas de travailler une année de plus, les « jeunes » devront payer pour les « vieux ». Le but de ce refrain: diviser les générations pour casser l’opposition à l’augmentation de l’âge de la retraite.

Or notre société repose, déjà aujourd’hui, largement sur des solidarités intergénérationnelles. Enfants et jeunes profitent du système éducatif et de formation, qui leur permettra ensuite d’intégrer le monde du travail. Adultes, ils et elles payeront des cotisations pour assurer les rentes des aîné-e-s. Cela n’a rien d’une escroquerie. C’est un système solidaire.

À cette solidarité sociale s’ajoute la solidarité familiale bâtie sur le travail domestique, éducatif et de soins réalisé par les femmes – et souvent gratuit. Grâce aux luttes féministes, le travail des mères, commence à gagner en visibilité. En revanche, on peine à prendre la mesure du travail accompli par les grands-parents, en particulier les grands-mères.

En Suisse, un enfant sur trois – un sur deux dans les familles non issues de la migration – est gardé régulièrement par ses grands-parents (1). C’est autant que les crèches et garderies, dont le nombre est insuffisant et le coût trop élevé. En clair: beaucoup de femmes de la jeune génération sont actives professionnellement grâce au soutien de leur mère et/ou belle-mère. Car lorsqu’il n’y a pas de solution de garde, c’est quasiment toujours la maman qui renonce, du moins temporairement, à son activité professionnelle – ou qui réduit et adapte ses horaires de travail.

Ce constat doit être intégré au débat sur l’âge de la retraite. Les jeunes retraité-e-s ne sont pas une génération de privilégié-e-s. S’il existe quelques planqués, on les trouve parmi les retraités des classes aisées, ces hommes qui ont occupé toute leur vie des postes de hauts cadres ou managers à 100%, bien rémunérés. Ce sont eux qui partent à la retraite à 60 ans avec une rente de 5000 francs par mois (2), voire bien plus pour ceux qui ont en plus des parachutes dorés et des troisièmes piliers. Et ce sont les mêmes qui viennent nous dire qu’il faudra travailler plus longtemps.

La majorité des retraité-e-s, en particulier les femmes, vivent modestement et s’investissent dans le travail de soins aux enfants, mais aussi aux personnes plus âgées, dépendantes et/ou malades. Ce travail permet à la société de réaliser des économies considérables – 8 milliards de francs par an pour la seule garde des enfants !

Plutôt qu’augmenter l’âge de la retraite, il faut le réduire. Et valoriser en parallèle le travail non rémunéré qui rend un immense service à la société, toute générations confondues.


(1) OFS, 25 mai 2020.
(2) OFS: Statistique des nouvelles rentes, 2018.