Reprendre la rue, dès la rentrée

de: Guy Zurkinden, interview

La Grève du Climat propose un plan vers le zéro carbone et appelle à de nouvelles mobilisations de masse. Questions à Steven Tamburini, militant de ce mouvement et membre SSP.

photo Eric Roset

Vous venez de publier un plan d’action de crise. En quoi consiste-t-il ?

Steven Tamburini – Nous vivons une époque marquée par une crise majeure et systémique. Celle-ci est à la fois sanitaire, sociale, écologique et démocratique. Pour éviter la catastrophe, un tournant vers une société du « bien-vivre », protégeant la nature et l’être humain, est indispensable.

L’intervention massive des pouvoirs publics au secours de l’économie privée montre qu’un tel tournant est possible. Mais il implique une réelle volonté politique.

Notre plan propose de premières mesures concrètes pour que la Suisse atteigne la neutralité climatique dès 2030.

Cela implique que les secteurs les plus polluants – notamment le trafic routier et aérien – abaissent dès aujourd’hui leurs émissions de Co2. L’Etat doit les y forcer en conditionnant ses aides à des objectifs climatiques contraignants. Il peut faire de même avec les entreprises privées auxquelles il accorde des soutiens.

Les subventions publiques aux énergies fossiles doivent cesser immédiatement, et les investissements ainsi libérés être utilisés pour le développement d’un réseau de transport à faibles émissions: vélos, bus, trams électrifiés, trains.

Que dites-vous aux salarié-e-s travaillant dans des secteurs polluants, et qui craignent pour leur emploi ?
La lutte contre le dérèglement climatique ne doit pas péjorer la situation des salarié-e-s, au contraire. Ce n’est d’ailleurs pas la transition écologique qui menace les emplois, mais plutôt un système économique tourné vers la maximisation des profits. Voyez les licenciements qui frappent aujourd’hui le secteur aérien, malgré les aides gigantesques de l’Etat !

Dans les secteurs émettant beaucoup de gaz à effet de serre, qui doivent être considérablement réduits, les travailleurs et travailleuses doivent bénéficier d’une protection intégrale de leur revenu ainsi que d’un plan de formation et de reconversion. Objectif: leur garantir, demain, un emploi dans des secteurs répondant aux besoins sociaux et écologiques.

Dans ce sens, notre plan climat prévoit la création massive d’emplois « verts »: dans les énergies renouvelables, les transports collectifs, mais aussi l’agriculture, l’éducation et l’ensemble des métiers du care. Cela doit s’accompagner d’une revalorisation des salaires et des conditions de travail ainsi que, bien sûr, de l’extension et la démocratisation du service public.

Pour éviter la combinaison actuelle entre burn-out et chômage de masse, nous proposons aussi de réduire le temps de travail collectif – sans réduire les salaires – à 32 heures hebdomadaires, quatre jours par semaine. Cette revendication s’inscrit dans l’horizon nécessaire d’une société post-croissance.

Sur tous ces points, nous partageons les propositions de sortie de crise faites par le collectif pour la Grève féministe.

Qu’en est-il du rôle de la place financière helvétique ?
Le bilan carbone de la Suisse doit intégrer la contribution des banques et multinationales au dérèglement climatique. À l’heure actuelle, UBS et Credit Suisse financent encore et toujours des projets d’exploration pétrolière dans l’Arctique ! Ce type de placements financiers, ainsi que les activités de nombreuses multinationales qui ont leur siège ici, ont un impact colossal hors de nos frontières.

Nous demandons donc qu’aucun nouvel investissement, prêt ou service d'assurance ne soit accordé par la Confédération ou la BNS aux entreprises actives dans le domaine des énergies fossiles. Quant aux institutions financières, elles doivent présenter, d’ici la fin de l’année, des mesures concrètes montrant comment elles comptent ramener leurs flux financiers à un niveau compatible avec l’objectif zéro carbone en 2030.

Si elles ne le font pas, nous devrons poser la question de la démocratisation du secteur financier.

Parlement et Conseil fédéral semblent bien loin de vos demandes. Même le projet de loi sur le CO2, pourtant très timide, est aujourd’hui revu à la baisse…
La contradiction est énorme entre le discours vert des partis bourgeois, mais aussi d’une grande partie de la gauche, et leur pratique politique. Globalement, une large majorité du Parlement reste dans le déni climatique.

Le projet de loi sur le CO2 en discussion est, par exemple, totalement insuffisant pour freiner l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. De surcroît, il prévoit des mécanismes (possibilité d’augmenter les loyers dans les bâtiments assainis, taxe sur l’essence, etc.) qui épargneront les gros pollueurs mais feront passer les salarié-e-s à la caisse. De telles mesures vont à l’encontre de la justice climatique et sociale que nous revendiquons.

Nous devons donc critiquer ces propositions. Mais notre horizon ne doit pas se restreindre à la politique institutionnelle, totalement décalée par rapport aux enjeux de notre époque.

Notre tâche est de proposer une vraie alternative, un plan B à la crise. Et le faire avancer. Pour cela, il n’y a pas quatre chemins. Nous devons reprendre les mobilisations de masse, dès cet automne.

« Pas de transition verte sans les syndicats »

Comment comptez-vous faire avancer concrètement vos revendications ?
Le Covid-19 a permis à de larges pans de la population de percevoir que notre mode de production marche sur la tête. En parallèle, les effets du réchauffement sont de plus en plus palpables. Cette double crise peut être l’occasion de faire progresser un projet alternatif. Mais si nous ratons le coche, le repli sur soi et la peur domineront.

Une chose est sûre. Il n’y aura pas de rupture avec le système capitaliste actuel sans grèves et mobilisations sur les lieux de travail. Cela implique une alliance entre mouvement pour le climat, mouvement féministe et syndicats.

Tout le monde doit s’y mettre. Pour les syndicats, cela implique un changement profond, afin d’intégrer la donne climatique dans leurs revendications et actions concrètes.

De notre côté, nous devons faire preuve d’une solidarité sans faille avec les salarié-e-s menacé-e-s par la crise.

La Grève pour l’Avenir, prévue le 15 mai dernier, devait être un premier pas dans cette direction. Elle a dû être repoussée en raison du Covid-19. Quelle sera la suite ?
Ce n’est que partie remise. La Grève pour l’Avenir aura lieu, même si nous n’avons pas encore d’échéance concrète. Cela dépendra de l’évolution de la situation sanitaire, ainsi que des discussions avec le mouvement syndical et les collectifs féministes.

Notre vœu est de constituer une coordination avec eux, afin que nous puissions discuter ensemble des prochaines étapes.