Régler moins, bosser plus

de: Journal Services Publics

Le Conseil des Etats s’apprête à trancher sur un projet prévoyant une flexibilisation radicale de la Loi sur le travail.

© Sarah-Rose flickr.com

Fin janvier, la Commission de l’économie et des redevances (CER) du Conseil des Etats s’est penchée, une nouvelle fois, sur un projet de loi visant à flexibiliser drastiquement la Loi fédérale sur le travail (LTr).

Émanant du conseiller aux Etats (PDC) Konrad Graber, selon lequel la Loi sur le travail imposerait des « règles d’un autre âge », le projet vise à contourner les limites légales à la durée maximale du travail (45 et 50 heures) via son annualisation. Concrètement, des semaines de 67 heures pourraient devenir la norme pour certains employés. La révision faciliterait aussi le travail de nuit et du dimanche.

Débat sur la portée
Qui serait touché ? Jusqu’à peu, le débat faisait rage. Pour les partisans du texte, seule une petite frange de salariés très qualifiés et/ou occupant des postes de dirigeants seraient concernés. L’Union syndicale suisse, en revanche, estimait que la révision toucherait près de 40% des actifs.

670 000 salarié-e-s !
Les catégories concernées sont en effet définies de manière floue par le texte de M. Graber. Ce dernier évoque « les travailleurs qui exercent une fonction dirigeante et les spécialistes disposant d'une autonomie comparable ». Une terminologie qui laisse une marge d’interprétation substantielle. Or la question vient d’être éclaircie. Le Matin dimanche a publié, le 19 janvier, les conclusions d’une étude confidentielle sur le sujet menée par le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). Bilan: pas moins de 670 000 salariés seraient concernés. Cela représente 23% des personnes soumises à la LTr.

Empoignade en vue
Les membres de la CER du Conseil des Etats, dominée par la droite, devraient décider le 12 février de la suite à donner au dossier. Selon Luca Cirigliano, qui suit la question à l’Union syndicale suisse (USS), il est probable qu’une majorité accepte le projet de M. Graber. Si c’est le cas, celui-ci pourrait être voté au Parlement cet automne. Les syndicats ont déjà annoncé qu’ils lanceront le référendum si la révision passe la rampe du législatif. Une empoignade d’envergure autour de la durée du travail se profile.

Assouplissement récent
Dans ce contexte, il est intéressant de mentionner les résultats d’une récente étude menée sous l’égide du Seco. Trois chercheurs se sont penchés sur les conséquences d’une révision de l’ordonnance 1 de la Loi sur le travail (OLT1), entrée en vigueur au 1er janvier 2016. Fruit d’une négociation entre Conseil fédéral, fédérations patronales et syndicats, celle-ci prévoit d’abord (article 73a OLT1) la possibilité de ne plus enregistrer le temps de travail pour les travailleurs touchant un salaire brut annuel supérieur à 120 000 francs et disposant d’une grande autonomie dans l’organisation de leur travail – y compris dans l’aménagement de leurs horaires. Ce processus doit être accepté expressément par les salariés concernés et encadré par la signature d’une CCT « signée par la majorité des organisations représentatives de travailleurs » et prévoyant des mesures visant à « garantir la protection de la santé et assurer le respect de la durée du repos fixée par la loi ». Ce sont ces deux conditions qui ont convaincu l’USS d’accepter cet assouplissement. La révision prévoit aussi (article 73b OLT1) la possibilité d’enregistrer uniquement la durée totale du travail quotidien (« enregistrement simplifié ») pour les travailleurs disposant d’une autonomie significative.

L’occasion fait le larron
Les résultats de l’étude sont clairs: « Les travailleurs au bénéfice du régime dérogatoire sont davantage concernés par les longues heures de travail, les horaires atypiques et les difficultés dans la conciliation entre travail et famille » (1). Le temps de travail moyen atteint 46,5 heures par semaine pour les actifs qui n’enregistrent pas leur temps de travail, 43,9 heures pour ceux qui le font de manière simplifiée et 42,3 heures pour ceux qui timbrent systématiquement. La proportion des salarié-e-s travaillant plus de 55 heures est aussi nettement plus importante parmi les personnes qui ne relèvent pas leur temps de travail.

La « modernisation » de la LTr recouvre ainsi une réalité plus terre-à-terre : un allongement de la durée effective du travail. La faîtière H+ l’a bien compris. S’appuyant sur la discussion en cours au Conseil des Etats, elle annonce qu’elle aussi veut imposer la semaine de 67 heures dans les hôpitaux.


(1) Jean-Michel Bonvin, Nicola Cianferoni, Pierre Kempeneers : L’enregistrement simplifié du temps de travail doit être mieux encadré. La Vie économique, 23 octobre 2019.