Les dividendes contre l’emploi

de: Guy Zurkinden, rédacteur

Chômage partiel et licenciements explosent, alors que les versements aux actionnaires sont maintenus.

Le 8 avril, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) annonçait qu’il avait reçu des demandes de chômage partiel portant sur 1,3 million de salarié-e-s – soit près d’un tiers de la force de travail totale en Suisse. Dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, le plus touché, pas moins des deux-tiers des salarié-e-s étaient soumis-e-s à une réduction de leur horaire de travail (RHT).

Le chômage

Le chômage a aussi fait un bond. Fin mars, le Seco comptait 135 624 «chômeurs inscrits» (2,9% de la population active), presque 18 000 de plus que le mois précédent. Dans sa statistique, le Seco calcule aussi le total de demandeurs d’emploi en additionnant les «chômeurs inscrits» - disponibles immédiatement pour un emploi – et les «demandeurs d’emploi non-chômeurs» - pas disponibles immédiatement pour un placement, car ils suivent un programme d’emploi temporaire, une mesure de formation ou sont en gain intermédiaire. Cela donne un total de 213 897 sans-emploi à la fin mars. On n’est pas loin des 5% de la population active. Il faudrait ajouter à ce chiffre les 357 000 personnes en situation de sous-emploi dénombrées par l’OFS fin 2019, dont le Seco ne tient pas compte.

Licenciements à gogo

La courbe risque de continuer sa hausse. Durant les neuf premiers jours d’avril, l’Union syndicale suisse (USS) a compté 10 000 chômeurs supplémentaires. «Les licenciements vont bon train, alors que le Conseil fédéral a étendu le chômage partiel à pratiquement toutes les branches et à tous les types de contrat», dénonce la centrale syndicale. Dans un premier temps, les lettres de congé ont d’abord touché les travailleuses et travailleurs temporaires et actifs dans la gastronomie et l’événementiel. Les charrettes se sont ensuite étendues à l’industrie, aux transports, à la construction et au secteur financier. La boîte temporaire Adecco, qui constate une baisse de 26% des offres d’emploi, estime que les véritables effets de la crise sur l’emploi apparaîtront au printemps.

Aeschi attaque

Dans la Berne fédérale, certain-e-s élu-e-s de droite mettent la pression. Sur proposition de l’UDC Thomas Aeschi, la commission de l’économie du Conseil des Etats veut assouplir les critères d’un «emploi convenable» prévu par la Lois sur l’assurance chômage (LACI). Objectif: permettre aux Offices régionaux de placement (ORP) d’obliger plus facilement les chômeurs à accepter des emplois ne correspondant pas à leur domaine professionnel – une possibilité déjà prévue par la LACI, mais assortie de plusieurs conditions. «Il n’est pas possible que des milliers de forces de travail doivent être indemnisées par l’Etat, alors que l’agriculture n’a pas assez de personnes pour les récoltes» (1), argumente M. Aeschi. Le consultant UDC, employé par la multinationale PriceWaterhouseCoopers, ne se propose cependant pas d’aller donner un coup de main dans les champs. Les patates, c’est pour les autres.

Les dividendes restent

Si l’emploi va mal, les actionnaires limitent les dégâts. «En Suisse, malgré les recommandations de prudence, les entreprises verseront généralement le dividende promis aux actionnaires (2)». Mark Branson, le patron de la Finma, a tenté d’inciter les banques à modérer les ristournes versées à leurs propriétaires. «Occupez-vous de vos affaires», lui a rétorqué vertement Gottlieb A. Keller, représentant d’economiesuisse et de Swissholdings (3). Les banques UBS, Credit Suisse et Julius Bär ont donc maintenu le versement des dividendes, en deux tranches. Des entreprises qui font appel au chômage partiel, comme Georg Fischer, Bobst ou TX Media, verseront aussi leur part du profit aux actionnaires. Sans parler du fondateur d’easyJet, Stelios Haji-Ioannou, qui a palpé 45 millions d’euros en mars(4).

Interdire les licenciements

Explosion des licenciements, maintien des dividendes. Aux yeux du patronat helvétique, ce sont les salarié-e-s qui devront payer l’ardoise.

Dans ce contexte, l’Union syndicale suisse défend trois revendications: la garantie à 100% des salaires bas et moyens en cas de chômage partiel; l’interdiction des licenciements et du versement des dividendes pour les entreprises faisant appel aux aides de la Confédération; la mise sur pied d’une protection spécifique pour les salarié-e-s ayant une certaine ancienneté.


(1) NZZ, 20 avril 2020.
(2) Le Temps, 6 avril 2020.
(3) NZZ, 9 avril 2020.
(4) Le Monde, 31 mars 2020.