La sécurité par les travailleuses

de: Guy Zurkinden, rédacteur

Au Québec, le droit de retrait préventif est un précieux appui pour les salariées enceintes, notamment les soignantes. Questions à Anne-Renée Gravel, spécialiste en santé et sécurité au travail.

photo Eric Roset

Anne Renée Gravel est professeure à l’université Teluq (Montréal) et militante féministe. Elle a participé à un colloque autour de la maternité et du travail, organisé par la Haute école de santé Vaud et unisanté, le 7 février.

Contrairement à ce que prévoit le droit suisse, au Québec la salariée enceinte joue un rôle central dans l’évaluation des risques…

Anne-Renée Gravel – La Loi québécoise sur la santé et la sécurité au travail (LSST) prévoit une participation active de la travailleuse et du travailleur, reconnu comme compétent pour identifier les risques professionnels.

Le droit de retrait préventif prévu dans cette loi [lire ci-dessous] reconnaît aussi explicitement que la travailleuse enceinte est en mesure d’identifier les risques. C’est elle qui prend l’initiative, remplit un certificat de retrait préventif avec son médecin traitant, puis fait une demande de réaffectation auprès de l’employeur. L’analyse des risques n’est pas déléguée à des experts.

Vous avez étudié l’application concrète du droit de retrait préventif chez les infirmières…

Dans les années 1990, une majorité des infirmières qui faisaient recours au droit de retrait étaient mises en arrêt de travail – alors que l’objectif de cet outil est au contraire le maintien en emploi dans de bonnes conditions de santé et sécurité.

Depuis, les mentalités et les pratiques ont profondément changé. Une culture de maintien en emploi, sur une période toujours plus longue, s’est imposée. Les tâches proposées aux infirmières sont de plus en plus adaptées et font appel à leurs compétences. De nombreuses soignantes peuvent continuer à occuper des postes auprès des patient-e-s dans de bonnes conditions de santé et sécurité, jusqu’à la fin de leur grossesse.

Un nombre croissant d’équipes s’organisent, de manière de plus en plus automatique, pour échanger et adapter les tâches en cas de grossesse d’une collègue. Les activités à risques sont redistribuées. Il y a aussi des améliorations au niveau du matériel – chaises permettant à la salariée enceinte de s’asseoir auprès des patient-e-s, aiguilles rétractables, statifs de perfusion à la taille adaptée. Cela améliore la qualité de la prise en charge des patient-e-s !

Globalement, les travailleuses de la santé n’hésitent plus à contester les conditions de travail qui affectent leur santé ou celle du fœtus, en utilisant les possibilités de recours prévues par la LSST. Cela se traduit par des pratiques adaptées.

Y a-t-il des différences selon le lieu de travail ou le secteur ?

La situation dépend beaucoup du lieu de travail. Dans les établissements où cet outil retrait n’est pas encore bien implanté, la salariée doit se battre pour faire valoir ses droits, montrer son certificat à l’employeur, convaincre les collègues qui craignent une surcharge de travail, etc. C’est un processus pénible. Les politiques d’austérité rendent aussi plus difficile l’adaptation des équipes en cas de grossesse.

Les infirmières et les enseignantes sont les catégories qui font le plus usage du droit de retrait. Ce sont des professions féminisées, mais aussi fortement organisées syndicalement.

Dans des secteurs précaires et peu organisés, comme le nettoyage, la réalité est nettement moins rose.

Quelle est la réaction des employeurs face au retrait préventif ?

Dès le départ, le patronat a contesté l’existence de ce droit. Son argument, c’est que les femmes en « abuseraient » pour arrêter de travailler, avec la complaisance des médecins.

Les employeurs remettent aussi en cause le rôle de la salariée dans l’identification des risques. Ils demandent que des experts mettent sur pied une liste limitée d’activités dangereuses.

Le droit de retrait est un acquis qui est régulièrement mis en cause par le gouvernement québécois, sous la pression des employeurs. Avec les syndicats, les groupes féministes, des groupes de chercheuses et d’accidentés au travail, nous nous préparons à résister.

Quel rôle jouent les syndicats ?

La plus grande centrale syndicale du Québec, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), ainsi que la Fédération interprofessionnelle de la santé jouent un rôle moteur dans la défense politique du droit de retrait préventif.

Sur le terrain, les sections locales soutiennent son application.

Là où ce droit est bien implanté, le syndicat est actionné en cas de problème, notamment lorsque l’affectation ne respecte pas les compétences des travailleuses concernées – ou les conditions prescrites par le certificat médical.

Mais dans les lieux où il n’y a pas encore de vraie culture du droit de retrait préventif, le syndicat joue un rôle important. C’est lui qui appuie la travailleuse pour obliger l’employeur à améliorer les conditions de travail.

Les organisations de salarié-e-s ne sont pas immunisées contre les rapports sociaux de sexe et les représentations qui leur sont liées. Il faut parfois expliquer à certains syndicats locaux que l’objectif premier n’est pas que la salariée interrompe son travail, mais bien qu’elle puisse le réaliser dans les meilleures conditions !

Des aménagements obligatoires

Depuis 1981, la Loi québécoise sur la santé et la sécurité au travail prévoit un « droit de retrait préventif » pour la salariée enceinte. En quoi consiste-t-il ?

À son article 40, la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) prévoit qu’une travailleuse enceinte peut demander une réaffectation si elle fournit à l’employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers pour l’enfant à naître ou elle-même.

Si l’employeur n’est pas capable de le faire, la travailleuse peut, en dernier recours, exercer son droit de retrait et interrompre son activité professionnelle. Elle touchera alors les 90% de son salaire net jusqu’à la naissance de l’enfant.

L’employeur est ainsi obligé par la loi d’aménager les conditions de travail pour que chaque salariée enceinte qui le demande se voie garantir des conditions de travail garantissant leur santé et sécurité, ainsi que celle du bébé à naître. Il doit aussi tenir compte des compétences de la salariée dans sa réaffectation.

Une caractéristique importante de cette mesure, mise en place en 1981, est qu’elle est financée collectivement par les employeurs. Les taux de cotisation ne varient pas selon le nombre de cas de grossesse. Toutes les entreprises doivent financer et prendre en charge l’indemnisation en cas de retrait du travail.