Combattre l’érosion des salaires

de: Michela Bovolenta, secrétaire centrale et Guy Zurkinden, rédacteur

La pression sur les salaires est une réalité. Elle remonte à la mise sur pied des politiques néolibérales.

Partisans et opposant-e-s à l’initiative de limitation polémiquent au sujet de l’impact de l’accord de libre-circulation des personnes (ALCP) sur les salaires. Pour l’UDC, l’ALCP aurait poussé les salaires vers le bas; les milieux patronaux affirment qu’il aurait permis d’améliorer les rémunérations (1). Qu’en est-il ?

Inégalités profondes
Entre 2002 et 2018, la hausse réelle moyennes des salaires a été de 0,7% (2). Sachant que l’indice du coût de la vie ne tient pas compte les primes d’assurance maladie, on ne peut guère déboucher le champagne. D’autant plus que ces augmentations ont d’abord profité aux très hauts revenus (3).

Les fiches de paie varient beaucoup selon les permis de séjour: « Dans les trois régions linguistiques, les étrangers titulaires d’une autorisation L, B et C gagnaient entre 8% (Suisse alémanique et Romandie) et 12% (Tessin) de moins que les ressortissants suisses. En Romandie et au Tessin, les frontaliers percevaient 11%, respectivement 30% de moins que les Suisses, tandis que le salaire des frontaliers en Suisse allemande était d’environ 1% supérieur à la moyenne des salaires (4)».

En Suisse romande et encore plus au Tessin, les employeurs imposent aux salarié-e-s frontaliers-ères des salaires au rabais – et ce, malgré les mesures d’accompagnement.

Quatre décennies de modération
Le blocage des salaires anticipe cependant largement l’entrée en vigueur des accords bilatéraux (2002). Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), les rémunérations ont volé en rase-mottes durant toutes les années 1990: 0,24% de hausse, en moyenne annuelle, entre 1990 et 1999. Le point de rupture remonte même à la fin des années 1970: alors qu’entre 1959 et 1978 la variation annuelle moyenne du salaire réel était de 3,1%, son évolution présente ensuite « un schéma en dents de scie oscillant souvent autour de la valeur nulle ». Conséquence: de 1979 à 2000, le taux de croissance annuel moyen du salaire réel se situe à 0,4% (5).

Profits contre salaires
Comment expliquer un tel blocage des rémunérations ? Pour Sergio Rossi, professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, il s’agit d’une tendance de fond: « Depuis les années 1980, avec l'avènement des politiques néolibérales, la financiarisation et la globalisation économique, la part des salaires réels dans le PIB a baissé de manière générale, malgré une augmentation de la productivité du travail. La part des profits a augmenté, mais une partie de plus en plus grande de ces profits n'a pas été investie de manière productive, au vu de l'insuffisance de la demande sur le marché des produits (à cause de la baisse du pouvoir d'achat des salariés) ». « Dans la part des salaires, une partie de plus en plus importante concerne les "top managers" », précise l’économiste. « La classe moyenne a donc encore plus souffert que ce que les statistiques semblent indiquer. C’est aussi le résultat de l'abandon du plein-emploi comme objectif de la politique économique ».

Lutter en temps de crise
Ce n’est donc pas le/la collègue immigré-e qui est responsable des baisses de salaires, mais bien une politique patronale visant à maximiser les profits. Et la récession ne va pas améliorer les choses: « Peu pensent à des augmentations de salaires dans cette année de crise (…) Des baisses de salaires volontaires ou des modifications des contrats pourraient devenir plus fréquentes (6)» .

Comment résister dans ce contexte à l’érosion des revenus du travail? D’abord, en refusant l’initiative UDC, qui précariserait des centaines de milliers de salarié-e-s. Ensuite, en luttant ensemble pour renforcer la protection des travailleuses et travailleurs – et pas les démanteler, comme le demande la famille Blocher. Cela passe, entre autres, par la garantie des droits syndicaux, des investissements massifs dans le service public et la transition verte, la mise sur pied d’un salaire minimum national, des batailles pour empêcher les licenciements et un refus résolu à toute augmentation de l’âge de la retraite – qui entraîner ait une nouvelle hausse du chômage.


(1) Services Publics, N°13, 21 août 2020, page 4.
(2) 15e Rapport de l’Observatoire sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE
(3) Le Temps/La Liberté, 24 août 2020.
(4) 16e rapport de l’Observatoire sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE
(5) OFS: Évolution des salaires nominaux en 2002. Neuchâtel, 2003.
(6) Handelszeitung, 20 août 2020.