Treizième rente pour l’AVS

de: Journal Services Pulics

Des dizaines de milliers de retraité-e-s n’arrivent plus à boucler les fins de mois. Pour améliorer leur situation, l’USS lancera une initiative introduisant un supplément de rente.

photo Eric Roset

En 2017, la moitié des personnes parties à la retraites devaient boucler les fins de mois avec un revenu inférieur à 3600 francs. Réuni-e-s à Berne le 15 novembre, les délégué-e-s de l’Union syndicale suisse ont dénoncé le niveau « terriblement bas » des rentes versées par le système de prévoyance (AVS et LPP) helvétique. Pour s’attaquer à ce scandale, l’assemblée a décidé de lancer une initiative populaire. Objectif: introduire une 13e rente AVS.

Cotiser plus, toucher moins
En Suisse, la situation de dizaines de milliers de retraité-e-s est critique. Selon Daniel Lampart, économiste en chef de l’USS, « près d’une personne sur dix a besoin des Prestations complémentaires (PC) dès l’âge de la retraite, car les rentes AVS et LPP ne suffisent plus pour vivre ».

La tendance n’est pas à l’amélioration. Selon les calculs de l’USS, le montant des nouvelles rentes versées par les caisses de pension a diminué de 9% depuis 2005 – alors que le taux de cotisation moyen est passé de 18% à 19,5%. Cette dégringolade est due à trois facteurs: la baisse du taux d’intérêt versé sur les avoirs LPP; celle du taux de conversion servant à calculer la future rente; et les millions empochés par les banques et assurances, qui gèrent une part croissante du gigantesque capital formé par l’épargne du 2e pilier (894 milliards de francs en 2017).

Avantages de l’AVS
Loin de la crise traversée par la LPP, le premier pilier de l’assurance vieillesse, l’AVS, impressionne par sa stabilité. Alors que les contributions (cotisations salariales et TVA) sont restées inchangées durant près vingt ans (elles seront relevées de 0,3% l’année prochaine, à la suite de l’entrée en vigueur de la Réforme fiscale et financement de l’AVS, la RFFA), les rentes ont pu être augmentées à plusieurs reprises grâce à l’accroissement de la productivité et des salaires (1). Et, selon les estimations de l’USS, « l’AVS sera toujours très bien financée en 2030 ».

Il y a cependant un bémol. Le montant des rentes versées par le 1er pilier reste largement insuffisant pour lui permettre d’assurer son objectif constitutionnel – garantir les besoins vitaux. Pire. Ces dernières années, la rare indexation des rentes AVS a entraîné un recul du revenu réel des ménages de retraité-e-s, durement frappé-e-s par la hausse des primes d’assurance maladie.

Le choix du premier pilier
Pour répondre au problème des retraites insuffisantes, l’Union syndicale suisse veut introduire une 13e rente AVS. Le choix d’agir sur l’AVS – et non la LPP – a été dicté par le caractère redistributif, stable et égalitaire du premier pilier de l’assurance vieillesse. Il s’agit aussi de « la seule assurance sociale qui prend en compte, dans le calcul de la rente, le travail de soins et d'assistance non rémunéré, principalement effectué par les femmes », précise Gabriela Medici, secrétaire centrale à l’USS. Ce qui explique que les rentes moyennes AVS sont quasiment identiques pour les deux sexes.

L’initiative adoptée par les délégué-e-s de l’USS – qui devaient trancher entre deux variantes – est présentée comme une première étape vers la concrétisation du mandat constitutionnel donné à l’AVS. Comme le 13e salaire. Concrètement, le texte prévoit le versement d'une rente de vieillesse supplémentaire à chaque retraité-e, sur le modèle du 13e salaire. Le montant de ce supplément serait égal à celui de la rente AVS perçue chaque mois. Selon les calculs syndicaux, la mesure profiterait avant tout aux bas et moyens revenus. Par exemple, une famille composée d'un conducteur de tram, d'une vendeuse à temps partiel à la Coop et d'un enfant toucherait 300 francs de plus par mois.

Les bénéficiaires de prestations complémentaires (PC) profiteront également de la 13e rente. Cette dernière ne pourra donc pas entraîner de réduction ou de suppression du droit aux PC.

La récolte de signatures pour faire aboutir l’initiative devrait commencer au printemps 2020.

Utiliser les profits de la BNS
En parallèle, l’assemblée des délégué-e-s du 15 novembre a décidé que les bénéfices gigantesques de la Banque nationale suisse (BNS) devraient être mis à contribution pour renforcer l’AVS. L’USS a été chargée de nouer les contacts politiques nécessaires, à Berne, pour aller dans ce sens. « Si la voie parlementaire devait échouer, l’USS prendra une décision sur le lancement d’une initiative sur cette question », précise le texte adopté.

Supplément ou adaptation de l’échelle ?

L’assemblée des délégué-e-s de l’USS a tranché entre deux propositions d’initiatives
Le premier texte, soutenu par une majorité du comité de la centrale syndicale, prévoit d’introduire un supplément pour l’AVS, à hauteur d’un douzième de la rente annuelle. Concrètement, ce supplément entraînerait une hausse de 8,33% de la rente.

Ce supplément s’appliquerait uniquement à l’assurance vieillesse, pas à l’assurance invalidité ni à l’assurance survivants (rente de veuf ou veuve et d’orphelin). Il serait financé par une augmentation des cotisations salariales (+0,7%).

Le SSP a soumis un texte alternatif à l’assemblée. Celui-ci propose aussi d’augmenter de 8,33% le montant des rentes AVS, mais par un autre mécanisme: il s’agirait d’augmenter d’un douzième le montant de l’échelle des rentes de l’AVS. La mesure s’appliquerait ainsi aux pensions de vieillesse, mais aussi à celles versées par l’assurance survivants et l’assurance invalidité (AI).

Pour Stefan Giger, secrétaire général du SSP, cette deuxième variante répond à une double logique: d’une part, la proposition d’élever l’échelle des rentes permettrait de porter le débat politique sur le renforcement du 1er pilier, solidaire, face au 2e pilier antisocial – évitant ainsi les arguments de droite opposant les actifs/-ves aux retraité-e-s. D’autre part, elle s’appliquerait aussi à l’AI, permettant ainsi de maintenir le lien historique entre ces deux assurances sociales – une revendication centrale des syndicats depuis la grève de 1918.

Bien que reconnaissant que la situation financière d’une majorité de personnes à l’AI est encore pire que celle des personnes retraitées, le comité de l’USS a appelé à refuser la variante du SSP. Son argument: l’élargissement du projet à l’AI pourrait affaiblir les alliances politiques visant à faire passer son initiative, notamment en raison des débats permanents stigmatisant les « faux invalides ».

Les deux-tiers de l’assemblée ont suivi la recommandation du comité de l’USS et voté en faveur de la proposition du Comité de l’USS – le supplément de rente.

Constitution pas respectée

Des retraites insuffisantes pour vivre
« Un retraité sur huit est pauvre dans ce pays » affirmait récemment Roland Grunder, président du Conseil suisse des aînés (2).

Selon l’Office fédéral de la statistique, le risque de pauvreté, en termes de revenu, est nettement plus élevé que la moyenne chez les personnes âgées de 65 ans et plus – 22,5%, contre 14,7% pour la population totale.

Comme le souligne l’OFS, les personnes qui ont pour revenu principal une rente du 1er pilier sont les plus souvent touchées par la pauvreté (3). Or plus d’un quart des retraité-e-s ne perçoit aucune autre prestation de vieillesse que l’AVS – pour plus de la moitié de ces personnes, l’AVS représente même l’unique source de revenu.

Les retraitées sont particulièrement exposées. En 2019, elles sont près de deux fois plus nombreuses (36,3%) que les hommes (21,4%) à ne pas toucher de 2e pilier. Et quand elles reçoivent une rente LPP, cette dernière est près de deux fois plus basse que celle des hommes (1221 francs mensuels en moyenne, contre 2301 francs). En revanche, les rentes moyennes AVS sont quasiment identiques pour les deux sexes.

À noter aussi que seules 17,1% des femmes perçoivent des prestations cumulées des trois piliers (le 3e pilier est un système d’épargne facultative). Chez les hommes, cette proportion est de 28,9%.

Le montant des rentes AVS oscille entre 1175 francs (rente minimale) et 2350 francs (rente maximale). En 2018, la rente AVS moyenne se situait à 1862 francs pour les femmes, 1836 francs pour les hommes. On est loin de l’objectif fixé par la Constitution fédérale, qui stipule que les rentes AVS « doivent couvrir les besoins vitaux de manière appropriée » (article 112). À son article 113, la Constitution indique aussi que « la prévoyance professionnelle conjuguée avec l’assurance vieillesse, survivants et invalidité permet à l’assuré de maintenir de manière appropriée son niveau de vie antérieur ».

Il reste du chemin à faire.


(1) Lire à ce propos la brochure de l’USS: AVS : une prévoyance vieillesse forte pour jeunes et vieux. Septembre 2015. Accessible ici: www.uss.ch/actuel/kampagnenseiten-ohne-navigation/ahv-broschuere/
(2) Le Courrier, 6 novembre 2019.
(3) OFS: La pauvreté des personnes âgées. Neuchâtel, 2014.