Nouveau revers pour les salaires

En 2018, pour la deuxième année consécutive, les salaires réels ont reculé en Suisse. Malgré une conjoncture solide.

Dans son appel aux manifestations du 1er Mai 2019, l’Union syndicale suisse expliquait le choix de son slogan, «Plus pour vivre»: «Cela veut dire aussi, en raison du mauvais résultat des négociations salariales de 2018, plus de salaire, tout particulièrement pour les femmes qui, malgré le mandat constitutionnel et légal, non seulement gagnent toujours nettement moins que les hommes, mais assument également la majeure partie du travail ménager, de prise en charge et de soins, et sont exposées aux violences sexuelles et sexistes.»

Moins d’argent en 2018
Les dernières statistiques salariales publiées par l’Office fédéral de la statistique (OFS) font écho à ce constat: en 2018, les salaires réels ont essuyé un recul de 0,4%.
Selon les chiffres de l’OFS, la hausse des salaires nominaux a été de 0,5% l’année dernière. Un résultat qui s’inscrit «dans une tendance à la modération salariale observée depuis 2010 avec des taux annuels ne dépassant pas +1%». L’inflation, de son côté, a été de 0,9%. Conséquence: «Le pouvoir d’achat a reculé pour la deuxième année consécutive». En 2017, le recul avait été inférieur (- 0,1%).

À la tête du client
Même les résultats des secteurs couverts par une Convention collective de travail (CCT) ont été peu concluants. Pour les principales CCT du pays – couvrant près de 500 000 salarié-e-s –, l’augmentation nominale des salaires a été de 0,9%. Cela signifie que l’augmentation réelle a été nulle. Pire. La part collective de ces augmentations s’est montée à 0,3%, le 0,6% restant étant accordé sous la forme d’augmentations individuelles. Or, comme le souligne l’Union syndicale suisse (USS), «lorsque les salaires sont augmentés de manière individuelle, ce sont en général les hauts revenus qui en bénéficient».

USS inquiète
«L’évolution des salaires en Suisse est plus qu’inquiétante», a réagi la faîtière syndicale à la publication des statistiques de l’OFS. «Les employeurs et employeuses privent ainsi les salarié-e-s des effets de la croissance. D’autant plus que les budgets des ménages sont déjà bien plombés par les loyers et les primes-maladie en hausse constante. Ces résultats sont particulièrement choquants dans la construction, par exemple: malgré des années de haute conjoncture, la perte réelle est aussi de 0,4 % dans ce secteurƒ». L’USS dénonce aussi l’absence de toute avancée en matière d’inégalités salariales entre hommes et femmes.

À la peine dans l’industrie
La situation dans l’industrie est particulièrement préoccupante: l’augmentation nominale moyenne des salaires (0,3%) y en effet est inférieure à la moyenne. Et cette dernière cache de grandes disparités entre les branches: alors que les salaires nominaux ont progressé de 1,7% dans les industries chimique, pharmaceutique, la cokéfaction et le raffinage (+1,7%), à l’autre bout de l’échelle, l’industrie du bois et papier et l’imprimerie (–0,4%) et celle de la fabrication de produits informatiques, électroniques et d’équipements électriques, l’optique et l’horlogerie (–0,3%) essuient carrément un recul des salaires nominaux.
Dans les services, le recul moyen a été de 0,4%; dans le secteur santé, hébergement médico-social et action sociale, la baisse s’inscrit à ce niveau; dans l’administration publique, par contre, le recul est plus marqué (-0,6% ).

Avec des pincettes
Selon les tableaux de l’OFS, de 2010 à 2018, les salaires réels ont augmenté de 0,76% en moyenne annuelle. Comme le mentionnait le magazine Bilan, «l'évolution des salaires semble déconnectée des fondamentaux économiques», excellents jusqu’à la fin 2018. Pour 2019, l’USS a réclamé des hausses de salaires situées entre 2% et 2,5% pour compenser le manque-à-gagner salariale des dernières années. De leur côté, les économistes du Credit Suisse pronostiquent des augmentations nettement inférieures.
Il est nécessaire de préciser que les données de l’OFS ne donnent qu’une idée très partielle de l’évolution des revenus des salarié-e-s: l’indice des prix à la consommation (IPC) qu’elle utilise pour calculer les salaires réels ne prend pas en compte les primes d’assurance maladie et sous-estime l’évolution des loyers.
Dans les faits, le recul salarial est donc bien plus préoccupant que ce que suggèrent les données officielles.