Les multinationales bottent en touche

Le Conseil des États a repoussé à une date indéterminée le débat sur un contre-projet à l’initiative pour des multinationales responsables. Le point avec Chantal Peyer, membre de l’ONG pain pour le prochain et du comité favorable à l’initiative.

photo Valdemar Verissimo

Pourquoi le Conseil des Etats a-t-il reporté le débat portant sur le contre-projet à votre initiative, pourtant approuvé par le Conseil national ?

Chantal Peyer – Le motif officiel évoqué par le conseiller aux Etats (PLR) Ruedi Noser est que les parlementaires ont besoin de plus de temps, notamment suite à la proposition faite par la conseillère fédérale (PLR) Karin Keller-Sutter. Mais le parlement discute de cet enjeu depuis plus de deux ans! La proposition faite par Mme Keller-Sutter avait déjà été annoncée par le Conseil Fédéral en 2014, et n’est donc pas vraiment nouvelle.

À notre avis, cette décision est plutôt le fruit d’une stratégie politique. M. Noser est proche de la faîtière patronale Economiesuisse. Or Economiesuisse et Swissholdings (un regroupement de grandes entreprises comptant notamment Roche, LafargeHolcim, Nestlé, Novartis, Syngenta) sont les principaux lobbys qui s’opposent à tout compromis et multiplient les tentatives d’obstruction contre notre initiative.

Leur objectif était d’abord d’éviter un débat sur les propositions de notre initiative avant les élections fédérales. En effet, M. Noser et nombre de parlementaires de droite auraient alors dû assumer publiquement qu’ils défendent les intérêts de multinationales aux activités peu reluisantes, comme Glencore.

Dans un deuxième temps, ils veulent faire échec au compromis approuvé par une majorité du Conseil national, qui bénéficie d’un large soutien – il a été approuvé par la majorité de la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats, par la Conférence des Chefs des Départements cantonaux de l’Économie Publique (CDEP), par de larges secteurs de l’économie – dont Coop, Migros et Manor, mais aussi des organisations telles que la Fédération des entreprises romandes (FER) et le Groupement des Entreprises Multinationales (GEM), etc.

Je pense que ces lobbys n’ont pas compris les préoccupations de la population face aux dangers enjeux écologiques et sociaux entraînés par les activités des grandes entreprises.

On trouve aujourd’hui trois textes sur la table. Quelles sont les différences ?

Il y a d’abord notre initiative pour des multinationales responsables. Son objectif est de contraindre les sociétés ayant un siège en Suisse à respecter les droits humains et les standards environnementaux. Notre initiative prévoit qu’elles pourront être rendues responsables, en vertu du droit civil, des violations en la matière commises par les entreprises qu’elles contrôlent à l’étranger.

Le Conseil national a proposé un contre-projet à notre texte. Celui-ci revoit à la hausse les critères déterminant les entreprises concernées; la responsabilité civile serait aussi limitée – aux filiales juridiques ainsi qu’à aux atteintes à la vie, à l’intégrité corporelle et à la propriété. Et toute procédure civile devrait être précédée d’une conciliation obligatoire.

Enfin, la conseillère fédérale Karin Keller Sutter a fait une troisième proposition. Celle-ci se limite à demander aux entreprises qu’elles produisent un rapport décrivant leur politique en matière de droits humains et d’environnement. Celles qui n’en ont pas pourront simplement le communiquer – même si elles mènent des activités hautement polluantes et affectant la santé des populations locales, comme les mines de Glencore au Congo ou en Zambie. Ce dernier texte est donc vide de contenu. Il ne répond pas à nos préoccupations.

Comment voyez-vous la suite ?

Economiesuisse et ses relais parlementaires veulent imposer la proposition de Mme Keller Sutter comme contre-projet à notre initiative – et la faire approuver par le Parlement.

Si les Chambres s’accordent sur une contre-proposition acceptable, nous serons ouverts au dialogue. Si aucun compromis n’est trouvé, la votation populaire aura lieu au plus tôt en mai 2020, au plus tard en 2021.

Chaque mois qui passe, le soutien à notre texte grandit. Nous comptons plus de 250 comités locaux dans toute la Suisse. La Fédération des églises protestantes et la Conférence des Evêques suisses ont pris position en faveur de notre initiative. Même un comité bourgeois s’est constitué pour la soutenir. Ilregroupe des élu-e-s de l'ensemble des partis bourgeois, pour qui le statu quo est inimaginable.

Guy Zurkinden, rédacteur