Lendemain de victoire patronale

de: Guy Zurkinden, rédacteur

Après leur succès sur la fiscalité, les bourgeois partent à l’assaut de l’AVS. Un combat d’envergure s’annonce.

photo Eric Roset
« Les entreprises multinationales se réjouissent» (1)

C’est la première conséquence de la large acceptation de la RFFA en votation populaire, le 19 dernier. Sondés par le quotidien de la Banhofstrasse, les dirigeants de Roche et Novartis ne cachent pas leur satisfaction: les deux transnationales sises à Bâle pourront combiner les niches fiscales offertes par la nouvelle loi fédérale avec un taux d’imposition des bénéfices abaissé de 22,3% à 13%. À Genève, les sociétés de négoce se tapent aussi dans le dos: acceptée en parallèle à la RFFA, la révision fiscale cantonale entraînera une dégringolade du taux d’imposition – de 24,1% à 13,99%.

Entre 12% et 16%
Swissholdings, la faîtière qui regroupe d’importantes sociétés transnationales établies en Suisse, le souligne avec gourmandise: à la suite de l’acceptation de la RFFA, « de nombreux cantons proposeront bientôt des taux attractifs entre 12% et 16%. » Les grandes entreprises qui ne bénéficiaient pas des statuts fiscaux cantonaux voient la vie en rose: « Dans de nombreuses firmes, on est visiblement content d’apprendre un allègement fiscal » (2). Dans ce contexte, l’initiative visant à fixer un taux d’imposition minimal dans les cantons annoncée par Christian Levrat, le président du Parti socialiste suisse (PSS), « arrive comme la grêle après les vendanges », comme le soulignait notre collègue Agostino Soldini, secrétaire central au SSP.

En Suisse romande, des taux plancher ont déjà passé la rampe dans les cantons de Vaud, Genève et Neuchâtel. La prochaine bataille se jouera à Fribourg, avec une votation cantonale le 30 juin. À noter que, suivant Berne, la population soleuroise a refusé à une courte majorité, une baisse drastique de l’imposition des entreprises (de 21,4% à 13,1%).

Ils montent au créneau
Deuxième effet post 19 mai: la fumée sociale propagée par les partisans de la révision fiscale se dissipe. L’encre du communiqué socialiste célébrant une « victoire historique » n’avait pas encore séché que patronat et droite passaient aux choses sérieuses. Mardi 21 mai, l’Union patronale suisse posait ses exigences en conférence de presse: il s’agit de rapidement élever l’âge de la retraite des femmes à 65 ans (à l’horizon 2025), tout en augmentant la TVA de 0,3%, puis enchaîner avec une hausse générale dès 2027. Le jour précédent, les Jeunes radicaux proposaient leurs recettes, sous la forme de quatre projets d’initiatives populaires. Tous rejoignent les revendications patronales – qui s’en étonnera – visant faire travailler les salarié-e-s plus longtemps. Philippe Nantermod, vice-président du parti libéral-radical, ne les contredira pas. Mais il veut faire un pas après l’autre: « La retraite à 65 ans pour tous, c’est la prochaine étape » (3) . C’est aussi la position de Gerhard Pfister, le président du PDC (4).

Demain, AVS 21
Le chemin patronal est tracé. Sa première phase sera concrétisée par le projet AVS 21, que présentera le conseiller fédéral (PS) Alain Berset en août. Au menu: l’élévation de l’âge de la retraite pour les femmes, couplée à une augmentation de la TVA (+0,7%) et à une « flexibilisation » de l’âge de sortie du marché du travail.

Les Jeunes socialistes ont déjà indiqué qu’ils lanceraient le référendum contre un tel projet. Qu’en est-il du PSS ? « Il y a eu un temps d’accord politique, mais le combat reprend. S’il n’y a pas de compensation réelle pour les femmes, alors nous n’accepterons pas cette hausse de l’âge de la retraite. Et nous n’aurons pas peur de saisir le référendum », répondait Ada Marra, la vice-présidente du PSS (5). Mme Marra n’a pas spécifié ce qu’elle entendait par « compensation réelle ». La précision aurait certainement intéressé les militantes qui préparent d’arrache-pied la grève féministe du 14 juin. D’autant plus que les dirigeants du PDC et du PLR parlent aussi de « compensations sociales » visant à faire passer la pilule des 65 ans.

Un combat à mener
L’Union syndicale suisse annonce qu’elle s’opposera à l’élévation de l’âge de la retraite des femmes. Quant au camp syndical qui a fait bataille contre la RFFA, il est déterminé: «Nous allons mener le combat. Et j’ai bon espoir qu’il y ait une coalition de tous les syndicats. Non seulement parce que les femmes subissent déjà des discriminations au niveau salarial, mais aussi parce que c’est un combat de principe », a indiqué Agostino Soldini.


(1) NZZ, 20 mai 2019.
(2) NZZ, 20 mai 2019.Idem.
(3)Tribune de Genève, 21 mai 2019.
(4) NZZ, 21 mai 2019.
(5) Tribune de Genève, 21 mai 2019.