France: «Toute une génération militante est en train de se forger dans la lutte»

de: Interview Services Publics (propos recueillis le 15 janvier 2020)

Questions à Théo Roumier, syndicaliste SUD éducation.

Photo Eric Roset

Peux-tu résumer le cœur de la réforme des retraites portée par le gouvernement Macron?

La réforme n’a qu’un seul but: faire subir une baisse drastique des pensions des futur-es retraité-es. Elle joue pour ça sur trois leviers: l’instauration d’une «règle d’or», le montant des pensions ne devra pas dépasser 14 points de PIB; la mise en place d’un système par points de retraite enregistrés tout au long d’une carrière dont, quoi qu’en dise le gouvernement, la valeur ne sera pas garantie; et enfin un allongement du temps de cotisation sur l’ensemble de la carrière, alors qu’il portait jusqu’ici sur les 6 derniers mois dans le public et sur les 25 meilleures années dans le privé.

Ce dernier point est une attaque très sévère contre les salarié-e-s ayant des carrières «à trous», principalement les femmes.

Tout cela vise en fait à ouvrir le «marché» des retraites aux assurances privées.

S’y ajoute le fameux «âge d’équilibre» qui vise à nous faire travailler plus longtemps encore avec un système de bonus/malus sur le montant des pensions selon qu’on quitte le travail après ou avant cet âge pivot prévu à 64 ans en 2027.

C’est cet âge pivot qui a été retiré «provisoirement» par le premier ministre récemment (tout en faisant comprendre qu’il reviendrait dans le projet!). Ce «compromis acceptable» selon le syndicat CFDT (qui ne participe pas à la mobilisation) ne correspond en rien aux exigences des grévistes. Ce que nous voulons, depuis le début, c’est le retrait pur et simple de cette réforme.

S’il faut chercher des financements, on a des idées: abolir le chômage, augmenter les salaires, et d’abord ceux des femmes pour arriver à l’égalité salariale et mettre un terme aux exonérations de cotisations patronales qui sont de véritables «niches sociales». Ce sont 10 milliards d’euros que les patrons n’ont pas versé aux caisses de retraite!

Depuis plus d’un mois, le mouvement de grève contre cette contre-réforme continue. Durant les Fêtes, les cheminot-e-s et les salarié-e-s de la RATP (transports publics de la région parisienne) ont porté quasiment seuls le combat. Quelles sont les raisons de leur détermination? L’éducation est aussi très mobilisée: la grève peut-elle s’élargir à d’autres secteurs?

Nous vivons une mobilisation historique qui marque un repositionnement très fort sur l’action syndicale et gréviste en entreprise par rapport aux dernières années. À la RATP et à la SNCF c’est la grève reconductible qui s’est imposée, et de manière significative, dépassant les records de grève de novembre-décembre 1995 et décembre-janvier 1986/1987. Toute une génération militante est en train de se forger dans la lutte. C’est d’abord ça qui explique la détermination: l’existence d’un collectif de travail qui se réunit au quotidien pour reconduire et discuter de l’action. La grève reconductible nourrit l’auto-organisation et donc l’ancrage de la lutte au plus près du terrain. Tout est lié.

C’est pour ça que nous appelons toujours à organiser des assemblées générales sur les lieux de travail, parce que c’est le poumon de la grève.

L’éducation est fortement mobilisée, c’est vrai, mais avec des réalités différentes selon les localités: ici la grève est reconduite et les écoles et établissements sont fermés, ailleurs les grévistes se concentrent sur les seules journées d’action. Mais nous n’avions pas vu ça dans ce secteur depuis la grève de 2003! Il n’y a pas de miracle: c’est le travail de terrain qui compte. Quand les grévistes organisent des tournées pour convaincre leurs collègues de rejoindre la lutte, ça marche.

Même si la grève est plus forte dans ces trois secteurs, d’autres sont dans l’action: dans les ports et docks, dans les raffineries, dans la culture, l’énergie, la santé, chez une partie des territoriaux… les avocats même!

Les grévistes de l’énergie procèdent à des coupures de courant ciblées ou le rétablisse pour des familles à qui on a coupé l’électricité. Dans plusieurs endroits, des grévistes ont jeté symboliquement leurs outils de travail face à leurs directions.

Ce sont des dizaines et dizaines de milliers de militant-es de la grève qui continuent de construire la mobilisation au quotidien!

Les 9, 10 et 11 janvier étaient des journées d’importance pour le mouvement. Comment la grève et la manif de samedi ont-elles été suivies? Qu’est-ce que cela nous dit sur la suite du mouvement?

Depuis le 5 décembre, le mouvement s’articule en fait autour de journées de grève interprofessionnelles de 24 heures (plus d’une dizaine), le soutien à la reconduction de la grève partout où elle existe et l’appel à la généraliser. Le front syndical (CGT, FO, FSU, Solidaires) qui porte la mobilisation tient. Des millions de personnes descendent dans la rue depuis plus d’un mois. Le gouvernement piétine et ne sait pas comment s’en sortir. La répression a connu une accélération depuis janvier. La police frappe les manifestant-es et gaze les cortèges syndicaux.

Et pourtant le combat continue et personne ne veut l’arrêter! Quoi qu’il se passe dans les semaines à venir, cela laissera des traces.

Comment des salarié-e-s et syndiqué-e-s en Suisse peuvent-ils soutenir les collègues français-e-s en grève?

En faisant connaître la mobilisation, en envoyant des motions de soutien aux grévistes, et pourquoi pas en versant aux caisses de grève mises en place par les syndicats. Le site de l’Union syndicale Solidaires les répertorie: https://solidaires.org/Caisses-de-greves

(Note de la rédaction: d’autres caisses existent encore, comme celle mise en place par Info’Com-CGT : www.lepotsolidaire.fr/pot/solidarite-financiere )


Galerie: Manifestations contre la réforme des retraites du gouvernement Macron - Annecy, Chambéry et Grenoble (© Eric Roset)

Des photos d'Eric Roset prises à Annecy (5 décembre 2019 et 9 janvier 2020), Chambéry (10 décembre 2019) et Grenoble (17 décembre 2019).