Entraver la liberté de licencier

de: Journal «Services Publics»

La Suisse a été retirée de la liste noire des pays accusés de violation de la liberté syndicale, car une médiation va s'ouvrir. Questions à Christian Dandrès, avocat.

Photo Eric Roset

Le conseiller fédéral Guy Parmelin, en charge de l’économie, a accepté de mener une médiation entre patronat et syndicats, avec la participation des experts de l’Organisation internationale du travail (OIT). Objectif: élaborer, dans un délai de douze mois, des propositions permettant d’élever le niveau de protection contre le licenciement des délégué-e-s syndicaux/-ales en Suisse.

L’Union syndicale suisse (USS) a salué la proposition du Conseil fédéral. Pour Luca Cirigliano, qui suit le dossier à l’USS, la médiation est «une vraie opportunité d’adapter enfin le droit suisse en cas de licenciement aux normes internationales». Christian Dandrès répond à nos questions.

Comment évalues-tu la médiation qui s’ouvre?

Christian Dandrès – Avec l’accord sur la libre-circulation des personnes, une forte concurrence sur le «marché du travail» a permis aux patrons d’utiliser à fond l’immense marge que leur offre le droit suisse du travail, en particulier l’absence de protection efficace contre les licenciements abusifs des délégué-e-s du personnel ou syndicaux/-ales.

En novembre 2006, le Comité de la liberté syndicale de l’OIT demandait au gouvernement suisse «de prendre des mesures pour prévoir le même type de protection pour les représentants syndicaux victimes de licenciements antisyndicaux que pour ceux victimes de licenciements violant le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes, y compris la possibilité de réintégration (…) conformément aux Conventions n° 87 et 98 ratifiées par la Suisse».

Treize ans plus tard, rien n’a été fait.

Les employeurs et leurs représentant-e-s politiques ont durci leur position. Le refus de toute amélioration des mesures « d’accompagnement à libre circulation » a été placé au rang de programme de législature.

Une médiation n’a donc aucun sens pour les salarié-e-s.

Il ne s’agit pas de résoudre un différend entre la faîtière syndicale et patronat, mais de d’adapter le droit suisse aux droits fondamentaux en matière de règlementation du travail.

Ces droits ne sont pas négociables.

Quel est la situation concrète en la matière en Suisse?

Pendant que le Conseil fédéral et les faîtières patronales et syndicales se livrent à cet exercice, les entreprises licencient quasi librement.

La pratique des tribunaux s’est péjorée. Au début des années 1990, les juges accordaient encore l’indemnité maximale de 6 mois de salaire prévue par le Code des obligations (CO) en cas de licenciement antisyndical. Les indemnités tournent aujourd’hui le plus souvent autour de 2 ou 3 mois.

Des responsables de l’USS laissent entendre qu’une augmentation de 6 à 12 mois de l’indemnité maximale serait acceptable. Il en irait de même de la possibilité de prévoir une protection dans les CCT.

C’est faire fi de la réalité.

Une femme revendiquant l’égalité salariale peut être réintégrée en cas de licenciement abusif. En revanche, la déléguée syndicale qui lui conseille de défendre ses droits, elle, peut être mise à la porte sans réelle protection.

Les frais de justice sont aussi un obstacle insurmontable. Pour un litige d’un montant de 100 000 francs, certains cantons réclament des frais jusqu’à 100 000, voire 500 000 francs ! Quant aux dépens, ils seront dus dans la quasi-totalité des cantons. Donc, en pratique, seul-e-s quelques salarié-e-s bien assuré-e-s ou fortuné-e-s pourraient solliciter 12 mois.

Le Tribunal fédéral vient d’admettre le licenciement immédiat des grévistes de la Providence…

Cel achève de démontrer que la «solution» consistant à permettre aux «partenaires sociaux» de prévoir la réintégration dans les CCT n’aurait en pratique aucun effet. Comment imposer une telle clause à un employeur qui la refuserait sans être capable d’établir un rapport de force par la grève?

Et quand bien même le/la salarié-e pourrait demander 12 mois d’indemnités ou sa réintégration prévue dans sa CCT, il n’obtiendra rien si l’employeur se prévaut des largesses du Tribunal fédéral en matière de licenciement. Congédier un-e représentant-e élu-e des salarié-e-s pour motifs économiques est admis quasi sans restriction.

Quelle est la solution?

Il faut demander la stricte application de la recommandation de l’OIT: la réintégration des délégué-e-s syndicaux/-ales et des représentant-e-s du personnel licencié-e-s. La Confédération doit étendre à ces personnes la disposition déjà existante pour les femmes revendiquant notamment l’égalité salariale (art. 10 LEg).

De même, un licenciement immédiat pour fait de grève doit être interdit, car il vide la substance du droit de grève. Le nouveau président de l’USS déclare à juste titre vouloir améliorer les mesures d’accompagnement. Il y a là une occasion à saisir.