Disponible 50 heures, payée 20!

de: Christian Dandrès, avocat, et Beatriz Rosende, secrétaire centrale SSP

Des employeurs exigent une disponibilité totale de leurs salarié-e-s, alors qu’ils les engagent à temps partiel. Illégale, cette pratique touche notamment le secteur de la santé.

Photo Eric Roset

De nombreuses personnes – des femmes essentiellement – occupent des postes à temps partiel. Un taux d’activité réduit n’est pas toujours un choix. Plus le poste est précaire, plus le risque que le temps partiel soit imposé est grand. Dans ces mêmes catégories, les salaires sont bas. Les employeurs refusant régulièrement d’augmenter les taux d’activité, ces femmes doivent souvent occuper un deuxième poste, voire un troisième, pour vivre.

Un mois à l’avance

Dans le secteur de la santé, les horaires de travail des équipes soignantes fluctuent constamment. Les employeurs tentent d’y faire face en mettant la pression sur les salarié-e-s.

De manière générale, les horaires doivent être connus un mois à l’avance, 15 jours dans le pire des cas. Il s’agit du minimum légal imposé par la Loi sur le travail (LTr), qui prévoit aussi que l’employeur tient compte des contraintes de la ou du salarié-e.

Ces principes ne sont souvent pas respectés. De nombreuses modifications d’horaire interviennent après que les plans de travail ont été affichés, par exemple pour faire face à des absences.

Pas de congé fixe

De même, bon nombre de salarié-e-s à taux partiel n’ont pas de jour(s) fixe(s) de congé durant la semaine. Les deux jours de congé d’une personne engagée à 60% (24 heures par semaine) peuvent être répartis sur une plage de 168 heures (24 heures x 7 jours).

Pire encore, avec l’annualisation du temps de travail, être engagé-e à 60% ne signifie pas qu’on travaille 24 heures chaque semaine. Il est possible de travailler une semaine à 100% et la suivante à 20%.

50 heures hebodmadaires!

Le droit suisse est l’un des plus favorables aux employeurs. Le cadre légal prévoit que la durée du travail dans le secteur santé peut aller jusqu’à 50 heures par semaine. Rien n’est prévu pour les temps partiels. Quel que soit le taux d’activité, les limites sont les mêmes. Un-e employé-e à 60% peut travailler jusqu’à 50 heures par semaine. Les employeurs peuvent imposer leurs horaires à des travailleurs/-euses qui, même engagé-e-s à taux réduit, doivent être disponibles en pratique bien au-delà du taux convenu. Le risque lié aux flux de travail est ainsi transféré de l’employeur sur le ou la salarié-e.

À disposition du patron

Dans le secteur de la santé, des employeurs tentent d’exploiter un maximum la «souplesse» que la loi leur accorde, en interdisant à des personnes à temps partiel d’occuper un autre poste.

Les représentant-e-s de l’Hôpital Riviera Chablais revendiquent, dans la négociation en cours sur la CCT, d’interdire aux salarié-e-s à temps partiel d’exercer une activité accessoire sans l’aval de la direction. Cette dernière ne donnera pas son accord si les limites prévues par la Loi sur le travail pourraient être atteintes (durée maximale de travail hebdomadaire, repos, etc.) Le travailleur/-euse à temps partiel se voit ainsi ainsi privé d’activité accessoire, pour que l’employeur dispose d’une amplitude la plus large possible.

Autre exemple. L’Ensemble hospitalier de la Côte (EHC), qui impose dans ses contrats de travail une règle identique: «Il est interdit au collaborateur d’exercer en Suisse une activité accessoire rémunérée sans le consentement préalable de l’employeur et d’exercer à l’étranger une activité rémunérée». Il précise que la durée maximale de travail et les pauses prévues par la Loi sur le travail doivent être respectées en cas de double activité.

Une pratique qui viole la Constitution

Jusqu’à présent, le SSP a admis que les CCT puissent prévoir l’interdiction pour les salarié-e-s à temps plein d’exercer une activité accessoire. Cette ligne se justifiait dans la mesure où les salaires pratiqués dans les secteurs professionnels où intervient le SSP permettent, pour un temps plein, de vivre dignement.

Lorsque l’employeur impose des emplois à taux partiel tout en demandant aux salarié-e-s concerné-e-s d’être disponibles à 100%, il faut que ces dernier/-ères puissent voir leur taux d’activité augmenter. Au minimum, il est indispensable que les personnes concernées ne soient pas empêchées de prendre un ou plusieurs autres emplois. Pour cela, les travailleurs/-euses peuvent s’appuyer sur la Constitution suisse (art. 27) qui garantit la liberté économique. Cette liberté, d’ordinaire invoquée par les patrons, peut servir de garde-fou lorsque ceux-ci dépassent les bornes.

De telles pratiques patronales nient la notion de contrat de travail. Ce dernier se fonde sur le principe que le travail est une marchandise, que la ou le salarié-e vend à son employeur.

Dans la loi, un-e travailleur/-euse s’engage à travailler pour un patron durant un temps convenu. Hors de ce temps, il est libre de mener sa vie ou ce qu’il en reste. Le patron, pour sa part, paie le salaire convenu et supporte le risque lié aux variations de la charge de travail. Certains employeurs veulent instaurer un capitalisme sans risque – pour eux – et s’assurer de faire payer les aléas des affaires à leurs salarié-e-s, en toutes circonstances.