Climat de changement… jusqu’à Berne!

de: Guy Zurkinden, rédacteur «Services Publics»

Au cours de la dernière année, des mobilisations exceptionnelles ont secoué la Suisse. Des centaines de milliers de femmes ont exigé l’égalité; des centaines de milliers de jeunes, suivi-e-s par des moins jeunes, ont fait grève et manifesté pour la justice climatique. L’onde de choc de ces mouvements a réussi à toucher l’endroit le plus rétif au changement: le Parlement fédéral. Ce haut lieu du conservatisme, dominé par la droite néolibérale et les lobbys économiques, a été lui aussi – un peu – bousculé par les élections du 20 octobre.

Manifestation du 28 septembre 2019 (photo Pascal Städeli, flickr.com)

La progression spectaculaire des Vert-e-s est une traduction, sur le plan institutionnel, de la poussée militante de ces derniers mois. Tout comme l’augmentation du nombre de femmes sous la Coupole (10 points de plus au National), ou la non-réélection surprise de deux représentants du patronat helvétique à Berne: les bientôt ex-conseillers nationaux Jean-François Rime (UDC) et Hans-Ulrich Bigler (PLR), respectivement président et directeur de l’Union suisse des arts et métiers (USAM).

Du point de vue des intérêts des salarié-e-s, il s’agit d’une évolution positive. La nouvelle configuration au Parlement pourrait renforcer la lutte contre certaines attaques patronales – comme l’élévation de l’âge de la retraite – et favoriser l’adoption de mesures progressistes, par exemple en matière d’égalité ou de protection de l’environnement.

Un autre élément saillant de cette élection, moins agréable, a été parfois négligé. Malgré son recul, l’UDC reste le premier parti de Suisse – et de loin. Le contexte de mobilisation – féministe et climatique – était largement défavorable au parti de Blocher, dominé par les climato-sceptiques et opposé à toute forme d’égalité. Malgré tout, l’UDC maintient un solide socle de 25,8% des voix – presque 10 points de plus que le Parti socialiste – 16,8%, en recul lui aussi.

L’UDC entend d’ailleurs bien rebondir à l’occasion des discussions sur les relations entre la Suisse et l’Union européenne – qui reviendront au premier plan du débat politique, dès 2020. D’abord avec la votation sur l’initiative UDC contre la libre-circulation, puis avec la renégociation et la ratification – ou non – de l’accord-cadre avec l’UE.

Des secteurs de droite espèrent aussi tirer parti de la crise économique qui se profile. «La récession qui s’annonce risque bien de ramener les soucis de la population aux questions économiques et donc nous débarrasser (…) de ces idéologues verts qui nuisent aux solutions pragmatiques dont nous avons besoin» espère Marie-Hélène Miauton, entrepreneuse et chroniqueuse néoconservatrice (Le Temps, 20 octobre 2019).

Face aux crises multiples engendrées par le néolibéralisme, la légitimité de ce modèle économique se fissure, y compris en Suisse. De nouveaux mouvements sociaux émergent. Combatifs, ils remettent en cause un système qui épuise forces de travail et ressources naturelles, exigent égalité et justice – climatique comme sociale.

En face, la droite bourgeoise et nationaliste – menée ici par l’UDC – les affrontera en tentant de renforcer les divisions entre salarié-e-s et en soufflant sur la xénophobie et le racisme.

Pour que la dispute en cours débouche sur une issue progressiste, la montée en puissance des mobilisations sociales sera décisive. Cela passe aussi par une jonction avec le mouvement syndical. Au boulot!

(Editorial paru dans Services Publics n° 17, 25 octobre 2019)