300 super-riches… et les autres

de: Guy Zurkinden, rédacteur

La fortune des familles les plus nanties de Suisse a fait un nouveau bond en 2019. Tandis que la pauvreté progresse.

photo Eric Roset

En 2019, le magazine Bilan a recensé 144 milliardaires dans notre pays – 5 de plus que l’année précédente. Les nanti-e-s se portent si bien que l’hebdomadaire économique a dû relever le seuil d’entrée dans son classement des « 300 plus riches de Suisse », de 100 à 200 millions de francs . Globalement, ces capitalistes ont vu leur bas de laine gonfler de 4% cette année, pour atteindre 702 milliards de francs (1).

Roche tout en haut
Tout en haut du classement, les dix plus grosses fortunes de Suisse concentrent 196 milliards entre leurs mains – contre 178 milliards l’année précédente, soit une progression de 10%. En tête de classement, on trouve à nouveau la famille Hoffmann-Oeri. Les propriétaires du géant pharmaceutique Roche détiennent un pactole de 27 à 28 milliards de francs – et s’apprêtent à toucher un dividende de 750 millions de francs. Ils sont suivis par la famille Wertheimer (Chanel), qui pèse entre 24 et 25 milliards. La troisième place va à Joseph Safra (23 à 24 milliards). Le banquier, actif aussi dans l’immobilier et l’agroalimentaire (Chiquita), est talonné par l’investisseur suisso-brésilien Jorge Lemann (22 à 23 milliards, brasserie AB InBev, Kraft Heinz) et les héritiers Kamprad (Ikea, 17 à 18 milliards). On notera que la famille Blocher (EMS Chemie, Dottikon ES, biscuits Läckerli) se situe à la 12e place, avec une fortune estimée à 12 milliards.

La pollution, ça paie
Dans le classement tenu par Bilan, certains des plus gros pollueurs de la planète sont aux premières loges. Le pactole de Guennadi Timtchenko, fondateur de la société pétrolière Gunvor, se monte à 18 milliards de francs. Celui d’Andrey Melnichenko (15 milliards) est presque aussi imposant. M. Melnichenko possède 90% des participations du producteur d’engrais EuroChem et investit dans dans le charbon. Quant à la famille Aponte, propriétaire du groupe MSC – 21 millions de conteneurs transportés en 2019, avec Ueli Maurer comme ambassadeur de choc au Cameroun –, elle détient pas moins de dix milliards.

Pendant ce temps...
Le contraste est frappant. Quelques jours après la publication de Bilan consacré aux plus riches, Caritas dénonçait l’ampleur de la pauvreté qui touche les enfants en Suisse: 103 000 enfants vivent sous le seuil de pauvreté, 269 000 évoluent juste au-dessus. Cela représente, dans chaque classe d’école, un élève pauvre et trois autres dans la précarité (2). Le phénomène est en progression.

20 francs par jour
Une famille touchée par la pauvreté en Suisse, rappelle Caritas, doit vivre avec moins de 20 francs par jour et par personne pour se nourrir, se vêtir, payer l’énergie, l’hygiène, la mobilité, la communication, l’entretien et l’éducation. Concrètement, cela se traduit ainsi: « L’argent manque souvent, même pour de petits riens. Une alimentation saine, un endroit où l’on peut se concentrer sur ses devoirs ou la possibilité de jouer dehors régulièrement et d'apprendre des choses importantes – cela ne va pas de soi. Et les parents en situation de pauvreté n’ont souvent pas les moyens d’offrir à leurs enfants des loisirs ou des activités sportives ».

Sur les 103 000 enfants en situation de pauvreté, près de 71 000 (les 70%) vivent dans des ménages de working poor, dans lequel au moins un parent travaille.

Inégalités en hausse
Une récente étude confirme l’augmentation continue des inégalités de richesses dans notre pays entre 2003 et 2015 – avec une parenthèse en 2008. Durant cette période, « les valeurs des grandes fortunes ont particulièrement augmenté (3)» .

Les statistiques les plus récentes mises à disposition par l’Administration fédérale des contributions (AFC) portent sur l’année 2016 (4). Elles indiquent que 15 642 particuliers/-ères (0,3% des contribuables) détenaient alors une fortune supérieure à 10 millions de francs. Ces heureux/-euses élu-e-s détenaient les 30,94% de la richesse totale déclarée en Suisse. L’ensemble des millionnaires, représentant 5,8% des contribuables, en concentraient plus des 67%.

De l’autre côté de l’échelle sociale, l’AFC indique que 55% des sommes déclarées ne dépassaient pas 50 000 francs – dans 24% des cas, la fortune était même inexistante. Cela donne près de trois millions de contribuables se partageant 1,7% de la richesse totale du pays.


(1) Bilan, 29 novembre 2019.
(2) Caritas : La pauvreté des enfants est intolérable en Suisse. 2 décembre 2019.
(3) La Vie économique, octobre 2019.
(4) AFC: Statistique de la fortune physique pour l’ensemble de la Suisse. 2016. Berne, 2019.