La Cour européenne est saisie

En janvier 2013, les grévistes de l'Hôpital de la Providence étaient licencié-e-s en raison de leur arrêt de travail. Ils font aujourd’hui appel à la Cour européenne des droits de l'homme.

photo Eric Roset

En 2012, la Fondation de l’Hôpital de la Providence, exploitant l’établissement du même nom dans le canton de Neuchâtel, avait dénoncé unilatéralement la CCT Santé 21. Ce retrait avait sonné comme un coup de tonnerre. Cette CCT était le fruit d’un long processus de dialogue social qui avait permis de protéger la quasi-totalité des travailleurs/-euses du secteur des soins à Neuchâtel – un canton frontalier dont les salarié-e-s sont soumis-e-s à une forte concurrence.

Le personnel de cet hôpital s’était mis en grève afin de sauvegarder les conditions de travail et l’emploi (des licenciements et externalisations de services étaient à craindre). Cette décision avait été précédée d’importantes tentatives de négociations devant une instance de conciliation et le Conseil d’Etat.

L’employeur a répondu à cette action en licenciant l’intégralité des grévistes, au prétendu motif que la grève était illégale.

Jurisprudence réactionnaire

Les grévistes ont saisi les juridictions civiles pour faire constater que leur licenciement était illicite et que leur grève était conforme aux conditions posées pour l'exercice de ce droit fondamental.

Toutes les instances judiciaires, cantonales et fédérale, ont été saisies. En vain. Durant six ans de batailles, les juges suisses ont montré qu’ils n’entendaient pas donner une existence réelle aux droits syndicaux.

Les juges neuchâtelois, suivis par le Tribunal fédéral en janvier 2019, ont estimé que la grève était illégale parce que les grévistes n'avaient pas accepté une proposition jugée « raisonnable ». C'était une première en Suisse qui, jusqu'à présent, s'était montrée libérale dans le sens que les juges ne procédaient pas à une appréciation du contenu des propositions et revendications des employeurs et des salarié-e-s. Ils se bornaient à examiner si ceux-ci avaient tenté de négocier avant de déclencher les hostilités.

Ici, les juges ont considéré que l'employeur, en proposant de prolonger d’un an les conditions de travail prévues dans la CCT Santé 21 pour le seul personnel en place, avait fait un geste suffisant pour que la grève doive impérativement cesser. Pourtant, rien n’était prévu pour sauvegarder les postes de travail et éviter les externalisations.

Passe-droit pour le dumping

Les magistrats ont opté pour une approche asymétrique. Ils ont considéré que les péjorations des conditions de travail devaient être acceptées par les salarié-e-s, sans se demander si leur maintien et celui des postes de travail pouvaient être imposés à l'employeur. Avec ce raisonnement, les patrons obtiennent une sorte de droit à la sous-enchère salariale et des conditions de travail.

C’est d’autant plus choquant que, dans le cadre des auditions, l'employeur a mis en avant le fait qu'il avait dénoncé la CCT Santé 21 notamment pour éviter ses mécanismes salariaux et obtenir un maximum de flexibilité dans la rémunération et la gestion du personnel. L’objectif était donc d’accroître la rentabilité de l’hôpital, en partie sur le dos des travailleurs/-euses.

Sanctions pénales levées

Pour restreindre encore la portée des droits syndicaux, les juges neuchâtelois avaient sanctionné pénalement les secrétaires syndicaux du SSP et de SYNA qui animaient la grève. L’employeur et le repreneur de l’hôpital (Swiss Medical Network – ex Genolier) avaient en effet multiplié les plaintes pénales contre les tracts syndicaux et les discours tenus durant et après la grève par des représentant-e-s syndicaux/-ales.

Les juges fédéraux n’ont heureusement pas suivi les juges neuchâtelois sur ce point. Dans un arrêt rendu cet été, ils ont admis que, lorsqu’un conflit social fait rage, l'employeur doit souffrir la critique; les termes utilisés par les syndicats n’étaient donc pas diffamatoires. Le Tribunal fédéral a ainsi suivi le raisonnement des syndicalistes, qui avaient plaidé qu'un tract syndical ne se rédige comme une thèse de doctorat, et que le ou la lecteur/-trice peut faire la part des choses.

Dans le même arrêt, le Tribunal fédéral a en revanche estimé que le piquet de grève, pourtant installé sur des places de stationnement hors de l'hôpital, était une violation de domicile dans la mesure où la grève était illégale.

Recours à la CEDH

Le droit de grève est indispensable pour que les salarié-e-s puissent améliorer ou préserver leurs conditions de travail.

En l'absence de salaire minimum au niveau fédéral et faute d'intervention de l'Etat pour protéger les travailleurs/-euses, l’importance des CCT est déterminante. Pour conclure ou maintenir une bonne CCT, les salarié-e-s doivent pouvoir, si nécessaire, faire grève – un moyen pour contrebalancer la puissance économique de l'employeur. Or, interprété comme le fait le Tribunal fédéral, le droit de grève devient une coquille vide !

Les grévistes ont donc saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le recours a été déposé le mois dernier.

Il faut protéger les droits syndicaux !

Pour considérer que la grève était illégale, les juges fédéraux sont partis de l’article 28 de la Constitution. Ce dernier indique que les conflits sont « autant que possible » réglés par la négociation ou la médiation. Se fondant sur ces quelques mots, le Tribunal a jugé que les grévistes devaient céder à l’essentiel des exigences de l’employeur et abandonner leurs conditions de travail et d’emploi.

Le Tribunal a jugé qu’il en allait du respect du principe de la proportionnalité. Il a refusé de revoir sa jurisprudence en donnant aux droits syndicaux la même importance qu’aux autres droits fondamentaux inscrits dans la Constitution. En effet, pour tous les autres droits, la proportionnalité doit être respectée lorsque l’Etat les restreint, non pas lorsque l’administré-e les exerce.

La CEDH, si elle estimait que la Suisse a violé le droit de grève en considérant que celle menée au sein de l’Hôpital de la Providence était illicite, ne pourrait pas remédier à l’absence de réintégration des travailleurs/-euses licencié-e-s pour fait de grève.

Il faut donc poursuivre la bataille engagée par le SSP avec sa plainte à l’OIT, qui a permis que la Suisse figure sur la liste noire des pays ne respectant pas les droits syndicaux.

Le moment est bien choisi pour revendiquer une réelle protection des droits syndicaux en modifiant le droit fédéral. Objectif: que les grévistes et les délégué-e-s du personnel ne puissent plus être licencié-e-s sans réintégration, sur le modèle de la Loi sur l’égalité entre femmes et hommes.

Christian Dandrès, avocat