Les femmes peuvent changer le monde

Pour Julia Camara, militante espagnole et protagoniste de la grève générale du 8 mars, le féminisme est un mouvement capable de porter un changement global de la société. Éclairage.

Pourquoi pas nous ? Pour les militantes féministes espagnoles, qui ont réalisé le 8 mars dernier une impressionnante grève générale, c’est par cette question que tout a commencé.

5,3 millions de femmes en grève, 120 manifestations dans l’Etat espagnol. Julia Camara, porte-parole de la Coordination du 8 mars à Madrid et militante d’Anticapitalistas, invitée en Suisse romande par le mouvement solidaritéS, a évoqué la construction collective de cette grève, les motivations et revendications qui ont poussé des femmes d’âge et d’horizons différents à descendre par centaines de milliers dans la rue. Lors de ces conférences, un regard sur la situation des femmes en Suisse était également présenté (lire ci-contre).

mobilisation internationale. Motivées par les mobilisations en Argentine, où les femmes avaient lancé un appel à la grève féministe le 8 mars 2017, ainsi que par les mobilisations en Pologne et aux Etats-Unis, 150 féministes de tout l’Etat espagnol se sont rencontrées à Alicante en mai 2017. Elles décident de s’organiser autour de quatre axes d’intervention: la grève des travailleuses, la grève des étudiantes, la grève du travail domestique et reproductif, la grève de la consommation.

Lors d’une deuxième rencontre, en janvier 2018, 500 militantes décident de lancer le mot d’ordre de grève générale. Elles appellent les organisations féministes et les syndicats à reprendre ce mot d’ordre. Les deux principaux syndicats du pays (CCOO, UGT) se limiteront à un arrêt de travail de deux heures. Trois syndicats alternatifs (CNT, CGT et l’Intersyndicale) soutiendront le mouvement. Du haut de ses 26 ans, Julia Camara n’en doute pas: les directions syndicales sont loin de l’évolution sociale et des réalités vécues par les travailleuses. L’ampleur de la grève devrait les faire réfléchir.

Organisation de terrain. La préparation du mouvement s’est faite là où les femmes vivent et travaillent. Les militantes ont organisé des assemblées générales non mixtes dans les villes et les quartiers, avec participation libre et sans délégation. Ces assemblées ont été conçues comme des espaces de rencontre entre femmes, et pas entre organisations. Parallèlement, de nombreux collectifs se sont créés ou ont été réactivés: des femmes migrantes, aux travailleuses dans le secteur du nettoyage jusqu’aux mères des enfants d’une même école se sont mises ensemble pour organiser leur participation. Pour toucher le plus grand nombre, des tracts en neuf langues ont été distribués dans les marchés et les quartiers. Julia Camara a souligné la participation très active de jeunes adolescentes âgées de 13 et 16 ans qui, à partir de groupes d’amies, ont constitué des collectifs politiques nouveaux.

Revendications concrètes. La grève a changé qualitativement le mouvement féministe de l’Etat espagnol, car elle a permis de mettre en relation les revendications concrètes des femmes avec la réflexion des théoriciennes féministes sur la reproduction sociale. Depuis 2007 et 2008, l’Etat espagnol a connu une hausse de la violence visant à maintenir le taux de profit des économies capitalistes. Conséquence: les attaques contre le corps des femmes a augmenté, tant par la violence physique (allant jusqu’aux féminicides) que par la tentative de restreindre le droit à l’avortement – repoussée par leur mobilisation en 2015. Mais les femmes subissent des violences sexistes quotidiennes partout. Ces violences ont un but: les maintenir dans un état de subordination facilitant leur exploitation.

Changer nos vies. Julia Camara a souligné que leur mouvement ne se cantonne pas au rejet d’une société patriarcale, mais veut offrir aussi une alternative à l’exploitation capitaliste. Une des revendications de la grève féministe a ainsi été de (re)mettre au centre le droit de vivre: face aux féminicides, aux expulsions, au racisme, à l’exploitation, les féministes veulent imposer le droit à une vie digne pour toutes et tous.

En ce sens, les femmes constituent un sujet collectif capable d’imaginer un changement global. La lutte féministe est donc bien une lutte globale pour le bien commun – dans ses dimensions sociales, économiques et écologiques.

Après le succès du 8 mars, un processus d’autonomisation collective est en cours avec une réflexion sur comment construire un réseau stable capable de poursuivre le mouvement, de réagir rapidement aux attaques subies par des femmes, mais aussi de proposer une réflexion programmatique portant sur la défense de la justice reproductive, des conditions de travail et sur un processus d’empowerment collectif.

La grève a déjà obtenu un changement important: personne ne se hasarde plus à ridiculiser les féministes, leurs arguments et revendications.

Compte-rendu de la conférence donnée par Julia Camara, 10.04.2018 à Lausanne, par MIchela Bovolenta