Extraits des témoignages

Le Syndicat des services publics a demandé au personnel de recherche des témoignages sur les effets de la pandémie son travail. Synthèse.

DIFFICULTÉS

Problèmes de matériel

«J’ai achevé ma thèse de doctorat en histoire contemporaine (où j’ai été assistante d’enseignement et de recherche) lorsque le “lockdown” du printemps 2020 était en cours, ce qui m’a obligé à travailler chez moi sans accès à la documentation et à l’ordinateur que j’avais au bureau.»

«[En raison de la fermeture des bibliothèques], j’ai déboursé plus de 700 fr. en articles et ouvrages spécialisés, simplement pour être sûr de les avoir et parce que j'en ai besoin. Je me suis acheté un ordinateur suffisamment performant pour pouvoir enseigner en ligne, une imprimante, un scanner, autant de choses que j'utilisais presque quotidiennement à l'université et dont j'ai besoin si je veux avancer vite. »

Parents avec leurs enfants pendant le semi-confinement du printemps

«Le travail a dû être effectué le soir et la nuit uniquement, en raison du fait que les garderies, durant cette période, étaient également fermées (je suis papa de deux enfants).»

«Entre mars et août 2020, je n’ai pas pu travailler à ma thèse de doctorat (qui représente normalement le 70% de mes activités), l’enseignement et les enfants m’ont pris tout mon temps. Nous nous partagions les gardes avec mon compagnon, on arrivait ainsi à dégager, en moyenne, deux à trois heures de travail par jour. Ces deux à trois heures étaient entièrement consacrées à maintenir à flot mon programme d’enseignement.» (…) En outre, même si les crèches ont rouvert début juin, les enfants sont toujours renvoyés à la maison aux moindres symptômes, toutes les trois semaines en moyenne. »

«J'élève seul mon enfant âgé de 9 ans. (…) Il a fallu enseigner depuis la chambre à coucher, mais surtout, il a fallu pendant presque deux mois donner l'école à mon fils qui est incapable de se tenir calme plus de 15 minutes. Je vivais avec lui dans 50 m2, et il ne pouvait pas sortir avec des amis, alors que le soleil brillait presque tous les jours. (…) L’atmosphère était parfois intenable. »

Davantage de temps consacré à l'enseignement à distance et au suivi des étudiant·e·s

«L’enseignement à distance s’est en effet avéré très chronophage. Il a fallu reprendre complètement l’organisation des séances, enseigner sur zoom ne se fait en effet pas de la même manière. Cela nécessite de condenser la matière, de prévoir des activités de groupe, des exercices interactifs. Je connais des professeur·e·s qui ont simplement envoyé leurs notes de cours, mais je ne me sentais pas d’abandonner ainsi les étudiant·e·s à leur ennui. Les encadrer et les soutenir, surtout pour les examens en ligne, m’a pris le reste de mon temps.»

«Le travail d’assistanat, et notamment le suivi des étudiant·e·s, est rendu plus compliqué en raison de la modalité de l’enseignement à distance, des mises en quarantaine et des malades (échanges plus difficiles et moins efficaces par écran interposés, rendez-vous manqués/déplacés en raison des mises en quarantaines et maladies). Cela a pour conséquence de retarder nos activités de recherche.»

Espaces de travail, isolement

«Les espaces réduits du bureau nous ont obligés à travailler séparément (question de respecter les mesures de distanciation sociale recommandées par les autorités publiques).»

«Le travail à domicile réduit très fortement les contacts entre collègues, pourtant très utiles à la recherche. Pas toujours facile de trouver la motivation dans ces conditions.»

Fermetures

«Le principal obstacle engendré par les restrictions liées au Covid est celui de la fermeture partielle des bibliothèques et surtout de la fermeture totale des archives. L'examen des sources archivistiques compose une grande partie de notre travail et l'inaccessibilité des archives a conduit à un ralentissement important. Si elle devait durer longtemps, ou se répéter, elle pourrait mettre sérieusement à mal l’ensemble du projet FNS qui ne dure que 3 ans (et donc ma thèse de doctorat en tant que telle).»

«Ma soutenance de thèse aura lieu cet été, retardée par la pandémie. En fait, j'ai rendu mon manuscrit environ six mois plus tard que prévu suite à la fermeture des archives et des bibliothèques le printemps passé. Même si j'ai déjà fait l’essentiel du travail pour ma thèse, la fermeture des archives continue d'empêcher mon travail au cours des derniers mois, notamment pour l'élaboration d'un projet de recherche post-doctorale.»

«Tout est bloqué: les archives que je suis censé consulter n’étaient accessibles que trois demi-journées par semaine en décembre 2020 (sur rendez-vous) avant qu’elles ne ferment complètement jusqu’à nouvel avis dès janvier 2021. Même discours pour la consultation dite normale de la documentation en bibliothèque ou encore dans d’autres lieux de conservation de la mémoire historique susceptibles d’intéresser notre projet.»

«Mon terrain de recherche, c'est-à-dire le secteur culturel des arts vivants, a été fermé entre mi-mars et mai 2020, puis interdit de représentations publiques dès début novembre 2020 et pour l'instant jusqu’à fin février 2021 (donc 6 mois en tout). (…) La méthode utilisée pour ma recherche en sociologie est principalement celle de l'ethnographie, qui suppose une immersion dans le milieu étudié. (…) Nous avons bien entendu cherché et trouvé des alternatives, telles que l'ethnographie en ligne, les rencontres virtuelles avec les personnes enquêtées (entretiens en zoom/skype), le visionnage de spectacles grâce à des captations vidéos. Cependant, d'une part toutes les structures culturelles ne sont pas égales face à ces exigences technologiques; et d'autre part, cette façon de mener nos recherches bouleverse nos liens interpersonnels avec nos enquêté·e·s et réduit grandement la possibilité de nouvelles rencontres et de nouveaux contacts.»

Impossibilité de séjours à l’étranger

«J'avais prévu un séjour de recherche (dans les archives) aux États-Unis au premier semestre 2020. Les archives et bibliothèques ayant toutes fermé les unes après les autres et la situation sanitaire mondiale se péjorant de jour en jour, j'ai décidé de rentrer en urgence en mars. Un deuxième séjour (toujours aux États-Unis) était prévu pendant la "pause” estivale entre juin et septembre, avec l'idée de récolter un maximum de données avant la reprise du semestre en septembre, mais celui-ci n'a pas été possible car le pays était et demeure fermé aux Européens, et les archives sont toujours fermées au public (depuis le 14 mars 2020).»

«La dimension comparative et collaborative avec le pays sur lequel je travaille reste pour l’instant lettre morte, étant donné les limitations de voyage et de séjour à l’étranger.»

Impossibilité de se réunir, d'échanger

«S’agissant d'un projet international impliquant une collaboration étroite avec des partenaires d’un autre pays européen, l'impossibilité de se réunir et d'organiser des événements a eu pour conséquence qu'aucun développement n'a encore eu lieu dans ce domaine depuis le début.»

«Les colloques auxquels nous participons ont lieu dans des conditions défavorables (participation limitée, contacts restreints/impossibles avec les autres chercheurs·euses). Par exemple, un colloque international a été tenu par Skype, avec des séances de deux heures réduites aux seul·e·s participant·es· aux panels (fermées au public), alors que le colloque aurait dû originellement se tenir sur deux jours et permettre de rencontrer l’ensemble des participant·e·s ainsi que d’autres chercheurs et chercheuses intéressé·e·s.»

Non-prolongations ou prolongations trop courtes

«Au minimum, je pense avoir perdu six mois de recherches. Il m'a été accordé une prolongation de deux mois de mon contrat d'assistante diplômée (je n'ai pas “osé” demander plus car on nous avait fait comprendre que la demande de 6 mois était tout à fait exceptionnelle. Je note que mes collègues masculins n'ont pas hésité à la demander).»

«Vu que j'étais en séjour de mobilité à l’étranger lors de la première fermeture des campus, je ne peux pas demander de prolongation de mon contrat. »

«Ma demande de prolongation de mon contrat a été refusée. Cela m'a beaucoup touché et déprimé. J'avais envie d'abandonner, tout simplement.»

«J’ai demandé les six mois de prolongation Covid auxquels je suis censée avoir droit, mais mes supérieurs hiérarchiques ont décidé que je n’en aurais que trois. La raison invoquée? Une autre prolongation due à un congé maternité rendait ces trois mois inutiles. J’avais donc, selon eux, assez de temps pour terminer ma thèse. (…) Tout cela est insensé. L’université passe son temps à mettre en avant son engagement pour les “carrières” féminines, mais à la première occasion, comme par hasard, ce sont les femmes qui paient. »

CONSÉQUENCES

Retards

«Cela fait que nous sommes actuellement paralysés dans nos recherches et que les retards sont de plus en plus importants, difficiles à rattraper. (…) La dernière année, en somme, a été pénible en tant que professionnel de l’histoire. D’abord dans le cadre du doctorat, puis en qualité de chercheur post-doc, les difficultés reliées à l’avancement des travaux ont été considérables et sont malheureusement bien loin d’être finies.»

Problème de financement

«Hélas, le financement à disposition du projet ne dure que trois ans. Mais les réalisations que nous devons faire – au-delà des études historiques sur un sujet novateur, il y a aussi les publications, l’organisation de colloques, les conférences – n’ont pas changé.»

Angoisse face à l’avenir

«J'ai reçu un certificat médical d'arrêt maladie pour une durée d'un mois, mais je n'ai jamais osé le donner à l'université, car j'avais peur que cela me porte préjudice, ou que je ne puisse pas à cause de cela obtenir une prolongation de mon contrat. J'avais peur également de décevoir mon directeur de thèse, de lui donner l'impression que je n'allais pas y arriver.»

«La pression en tant que doctorant est déjà tellement grande, il faut publier – en anglais –, créer un réseau, donner des conférences, organiser des colloques, enseigner et (éventuellement) écrire une thèse qui est censée être de qualité, qui doit être originale, faire avancer la recherche. Et puis on voit le temps filer à une vitesse effarante, et la perspective de ne plus avoir de salaire une fois l'échéance passée qui plane comme un ombre au-dessus de nos têtes.»

Atteintes à la santé

«Je prends toujours beaucoup de médicaments, j'ai peur de les arrêter car je redoute un autre burn-out et que la pression est immense (mais il faut bien faire tout cela si on veut avoir une chance dans ce milieu !). Les effets secondaires sont nombreux : je souffre d'hypertension, de crises d'angoisse et d'insomnie, et j'ai très peur pour ma santé non seulement à court terme, mais aussi à long terme. Je me demande comment mon organisme va sortir de cette phase.»

«Je viens d'être mise en arrêt de travail pendant un mois (cause: burn-out). En bref, cela est majoritairement dû à un rythme de travail insoutenable sans pour autant pouvoir remplir mes obligations de recherche. »

Permis de séjour

«Après mon retour en Suisse à la fin de ma période de mobilité, les autorités fédérales m'ont donné un permis de séjour L (de courte durée), ce qui met en danger ma situation en Suisse. »

CONCLUSION

«Il serait donc impératif de nous accorder un prolongement de contrat et c’est pourquoi, à titre personnel, je soutiens pleinement l’initiative dont vous êtes le porte-parole.»

«Nous avons déjà obtenu deux mois supplémentaires suite à la première vague de covid. Le prolongement de la pandémie et des mesures qui y sont liées aggrave notre retard et rendrait nécessaire un nouveau prolongement de contrat.»