Retour sur le 14 juin

L’immense succès de la grève féministe s’explique par le fait qu’elle a réussi à s’adresser à toutes les femmes, tout en maintenant sa radicalité face aux pressions diverses. Il faut continuer sur cette lancée!

Photo Valdemar Verissimo

Le 10 mars 2019, à Bienne, les Assises nationales ont réuni 500 femmes de toute la Suisse. Les activités des différenats collectifs y ont été présentées, des explications données sur « comment faire grève ». Un appel à la grève en 17 points a été adopté.

Attaques médiatiques

Des campagnes de presse ont été menées pour délégitimer la grève féministe. Leur but: faire rentrer ce mouvement en expansion dans le cadre posé par la paix du travail et le partenariat social. Mais, au lieu d’entrer dans le jeu des compromis, la coordination romande des collectifs a toujours défendu les revendications exprimées dans le Manifeste romand et dans l’Appel de Bienne [1].

La première attaque est publiée dans le quotidien Le Temps [2], sous le titre «Grève des femmes, grève de gauche?». Dans une lettre signée par 250 femmes, les collectifs romands répondent: «Derrière notre mouvement ne se cache aucune opération de marketing politique, mais juste la réalité de nos vies (…). On nous reproche de critiquer l’économie capitaliste parce que nous voulons mettre au centre de nos préoccupations et de nos actions l’être humain, l’équilibre écologique et la vie en lieu et place de l’argent et du profit. Nous assumons cette critique. (…) La grève féministe et des femmes* du 14 juin 2019 se fera avec toutes celles qui veulent y participer.»

La grève, un droit

Une deuxième attaque suit dans Le Matin Dimanche [3]: «Le patronat ne veut pas de grève des femmes». Réponse des collectifs: «La grève est un droit fondamental dans une société démocratique. (…) Nous réaffirmons notre droit de faire grève en tant que travailleuses, mais aussi notre droit de réinventer la grève pour qu’elle prenne des formes multiples: sur le lieu de travail, sur notre lieu de vie, dans la rue. Nous croiserons les bras partout où nous serons, chacune à sa façon (…) Ce qui est illicite, ce sont les inégalités de salaire, les licenciements de femmes enceintes ou qui reviennent de leur congé maternité, le harcèlement sexuel et toutes les discriminations basées sur le sexe ou l’identité de genre auxquelles nous sommes confrontées tout au long de notre vie. Pas notre grève.»

Contre les hommes?

Puis la Tribune de Genève [4] titre: «La grève serait contre les hommes». Pourtant, en septembre 2018, les collectifs avaient déjà écrit: «Notre grève ne sera pas contre les hommes, mais contre un système patriarcal qui a fait son temps. Le 14 juin, les hommes solidaires seront invités à soutenir les femmes en grève.» Cette réponse, largement rediffusée, permet de couper court à cette polémique.

Parallèlement à ces attaques médiatiques, des propos masculinistes et misogynes sont répandus sur les réseaux sociaux et dans les journaux dits gratuits (c’est-à-dire payés par la publicité).

Le test Infrarouge

L’émission de débat politique Infrarouge, sur la RTS, programme pour le 12 juin une discussion sur le thème «Une grève, et après?». Aucune représentante des collectifs n’a été invitée. La colère et l’incompréhension des femmes qui construisent depuis des mois cette mobilisation explose sur les réseaux sociaux. Leur réaction oblige le producteur d’Infrarouge à inviter une représentante, lui accordant deux minutes de parole. Après avoir lu une déclaration des collectifs, celle-ci quitte l’émission, suivie par trois femmes du public.

Un fait politique

Le 4 juin, Tamedia publie les résultats d’un sondage: 70% des femmes et 57% des hommes interrogé-e-s soutiennent la mobilisation du 14 juin (la question posée ne reprend pas le mot grève).

Le 9 juin, les Business and Professional Women (BPW) Switzerland, l’alliance des société féminines suisses (alliance F) ainsi que les femmes des partis bourgeois (PLR, PDC, PBD et PVL) publient un communiqué disant qu’elles «n’appellent pas à la grève, mais que l’égalité entre femmes et hommes ne concerne pas uniquement les partis et les syndicats de gauche. Elle est l’affaire de tous.» Les BPW veulent utiliser cette journée pour attirer l’attention sur les objectifs à atteindre. Elles réclament en particulier plus de femmes dans les instances dirigeantes, car les conseils d’administration ne comprennent que 20% de femmes, les directions d’entreprises seulement 10%. À l’opposé, les femmes de l’UDC romande appellent à un repas de soutien à l’association d’aide à la mère et l’enfant, une organisation opposée à l’avortement, pour le 14 juin.

Une victoire syndicale, aussi

Les militantes et secrétaires du SSP ont soigneusement préparé la grève sur les lieux de travail. Un mois avant l’échéance, le quotidien 24 heures [5] titre: «Ecoles, crèches et hôpitaux vont sentir passer le 14 juin. Faute de personnel, des établissements pourraient rester fermés». Cette dynamique est facilitée par la prise de position de certaines autorités communales en faveur de la grève, par exemple en accordant congé à leur personnel.

Le 14 juin, la grève se propage sur les lieux de vie, de travail, de formation et de consommation. Dans le canton de Vaud, la moitié des gymnases sont fermés. 2000 enseignantes sont en grève; beaucoup de centres de vie enfantine ferment à 15h24; l’accueil des enfants en-dehors de l’école est très fortement réduit; dans les hôpitaux, les Etablissements hospitaliers du Nord vaudois (EHNV) ou le CHUV, un rassemblement du personnel a lieu à 11h. Il est accompagné d’ateliers pancartes et d’un départ collectif pour la manifestation. Dans les EMS, des résident-e-s sont associé-e-s aux activités de la grève des femmes. À l’Unil (rebaptisée Unelle) des milliers d’étudiant-e-s se mobilisent. Il en est de même dans les HES et à la HEP. Dans toute la Suisse, des centaines de milliers de femmes sont en grève. Dans chaque ville, les manifestations sont massives.

Radicalité maintenue

Cet immense succès s’explique par le fait que la grève féministe et des femmes* a réussi à maintenir sa radicalité contre les pressions diverses. Ce mouvement s’est construit de manière capillaire et exerce un rapport de force en-dehors de toute échéance de type initiative populaire, référendum ou élection, ce qui est très rare en Suisse. Cette grève a effectivement eu lieu sur les lieux de vie, de travail, de formation et de consommation. Toutes les femmes qui le voulaient et le pouvaient y ont trouvé leur place, quelles que soient les couleurs de leurs passeports.


[1] Pour prendre connaissance de ces textes, consulter le site www.frauenstreik2019.ch

[2] 31 janvier 2019.

[3] 7 avril 2019.

[4] 26 avril 2019.

[5] 24 heures, 18-19 mai.

Geneviève de Rham, membre SSP région Vaud